Magic est reparti de Rock en Seine 2023 avec cinq souvenirs de concerts particulièrement mémorables. Qui et pourquoi ? On vous raconte tout ça.
L’édition 2023 de Rock en Seine était à priori dotée d’une tête d’affiche écrasante. Les Strokes, dimanche 27 août, avaient l’aura, les chansons et la force de traction d’un groupe qui a fait l’histoire pour remballer quatre journées de musique en soufflant un public amoureux depuis vingt ans. Raté. Leur performance en dents de scie a souffert de défaillances techniques qui ont rendu la deuxième moitié du set très pénible. Julian Casablancas avait semble-t-il prévu de prendre des vacances toutes les cinq minutes – pas mal pour faire redescendre la température. Et les irrésistibles morceaux de bravoure (Ode to the Mets, Reptilia, entre autres) n’ont pas partagé leur secret avec quelques-uns de leurs voisins de setlist. Forcément, la délégation de Magic est repartie en traînant un peu des pieds. Ce qui ne doit pas éclipser le principal : ce Rock en Seine 2023 restera comme un très chouette week-end de concerts lumineux et physiques. Voici notre sélection des plus mémorables.
1. Blumi, force tranquille
Dimanche 27 août. Il est quinze heures passées. Le public de Rock en Seine s’agglutine devant la scène de la cascade pour voir Gaz Coombes (ex-Supergrass). Avec Magic, on file voir Blumi, qui commence déjà son concert sur la scène du bosquet. L’artiste Emma Broughton, dont on avait adoré le dernier EP there is no end in me (sortie fin 2022), n’est plus seule en scène et se réjouit d’être là avec ses musiciens : un claviériste (coucou Olivier Marguerit, bien caché derrière ses lunettes rondes – leur collaboration est une histoire qui dure), un batteur et un bassiste/flûtiste. Une série de mésaventures les a empêchés de se produire la veille à Londres. Blumi dit avoir surveillé de près la météo de peur de voir sa participation annulée. Pas deux fois la même semaine ! Le temps est seulement voilé et le restera, excepté une petite ondée de rien du tout. C’est en fait le parfait écrin pour ses morceaux dont les références à la nature, à l’eau, aux nuages sont légion. D’un calme olympien, Blumi s’exprime toujours avec intelligence, douceur et précision, sur un lit cotonneux de claviers sur lequel glisse une batterie impétueuse et une basse enveloppante. La Franco-Britannique nous gratifie même d’un inédit sur ce qui pourrait nous faire encore plus plaisir. La revoir ! A.D.
2. Amyl and the Sniffers, à fond la forme
Installés sur la grande scène, pas de difficulté à s’approprier l’espace pour le groupe australien Amyl and the Sniffers. Trônant tels les rois du festival (et ils ont raison), ils ont vu le public affluer en masse à leurs pieds dimanche après-midi. Lorsque Amyl s’annonce avec sa voix stridente, son accent à couper au couteau et son cheveu sur la langue, difficile de s’imaginer la tornade qui nous attend. Arrivée apprêtée d’un ensemble de sport dénudé, dévoilant ses muscles impressionnants, elle enchaîne les pompes entre les chansons. La bouche peinturlurée de rouge à lèvres rouge carmin qui a bavé, elle s’agite avec un entrain que les plus de vingt ans ne connaissent plus. Les chansons aussi rapides que celles des Ramones font le raffut de celles des Sex Pistols. Amyl s’égosille, ingénue. Elle rigole et danse allègrement tandis que le public est frappé par ses chansons. Des morceaux décapants, ultra efficaces, qui s’installent dans la tête, des presqu’hymnes que le public ne résiste pas à entonner à son tour. Les Sniffers n’ont pas un instant pour renifler, la cadence est intense et l’ambiance est à la performance physique. C.M.
3. Young Fathers, rain and shine
Dimanche, en sondant le ciel, vous auriez eu du mal à prédire que l’horaire de passage des Young Fathers sur la scène du bosquet (18h35) serait aussi l’heure de la douche. Tout a été très vite. Leurs chansons nous arrivent d’abord de face. En pleine face même. Et une fraction de seconde plus tard, voilà qu’elles doivent se frayer un chemin sous les capuches. À partir de ce moment-là, il faut prendre le réflexe de lever le nez pour établir le contact visuel avec Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole, Graham Hastings, ainsi que la chanteuse, le batteur et le guitariste/clavier qui complètent le line up des Écossais. Parce que la pluie et le sweat noué à la va-vite sur la tête nous tombent tous les deux devant les yeux. Mais aussi et surtout parce qu’une transe généralisée s’est emparée de la foule qui se tourne vers elle-même, danse, échange des regards complices, et s’amuse de voir l’eau et la poussière dégueulasser ses chaussures. Rain or Shine, dit l’une des bombinettes du groupe jouées ce jour-là… Mais pourquoi choisir ? Elle et plein d’autres (Geronimo, I Saw…) nous ont fiché leurs fragments percussifs et rougeoyants dans tout le corps et, pour ne rien vous cacher, la joie de recevoir nous a donné envie d’imiter Kayus Bankole qui, sur scène, n’a pas hésité à faire tomber la chemise. In extremis, le badge presse nous a rappelé à notre professionnalisme. J.P.
4. Yeah Yeah Yeahs, starwoman
On commençait à désespérer de les voir. Après neuf ans de silence, quelle joie de voir Karen O, flamboyante, investir la scène de la cascade ce samedi soir, devant un parterre noir de monde. Elle arbore son carré boule légendaire et une tenue cosmique – digne de David Bowie – qu’elle déconstruira au fil du concert, se dévoilant progressivement. Avec un entrain partagé elle nous renvoie vingt ans en arrière, à l’époque d’une scène new-yorkaise rock indépendante et effervescente. Tous les tubes qui ont marqué nos plus jeunes années y sont passés. Les riffs nerveux assénés par Nick Zimmer se sont enchaînés. Vers la fin du concert on passe de Gold Lion à Heads Will Roll et Date with the Night, deux derniers morceaux abrasifs pour un bouquet final survitaminé. Karen O aura réussi à nous embraser le cœur. C.M.
5. The Murder Capital, par les tripes
Peu nombreux sont les groupes qui maîtrisent le lâcher-prise. Pas celui, innocent, qui accompagne la jeunesse et son insouciance. Plutôt celui, profond, qui se fait l’exutoire d’une rage exacerbée qui a maturé, qui a mué. The Murder Capital s’en empare avec sobriété. Chez eux la tension est inhérente, elle monte doucement, attrape fermement le public par les tripes, avant de le secouer. Dimanche, l’élan du groupe dublinois est sournois et enveloppant. Quand la poésie du parlé-chanté du ténébreux James McGovern croise l’intensité des cris stridents des guitares et l’hypnose du tambour, la bataille est gagnée. À la question «C’est les nouveaux Fontaines D.C. ?», on répondra : «Non, c’est autre chose, c’est peut-être même mieux». C.M.
De nos envoyés spéciaux à Saint-Cloud, Alexandra Dumont, Chayma Mehenna et Jérémy Pellet.