De Young Fathers à Jockstrap, aperçu des plus grands enthousiasmes de Magic à la Route du Rock 2023.
Dans cette orgie annuelle de rock et de sons pop moderne que constitue la Route du Rock, l’édition 2023 aura proposé un cru de caractère. Souffrant sur le papier de l’absence d’une tête d’affiche très rassembleuse voire d’un manque de densité certains soirs, elle n’aura, en réalité, souffert d’aucun temps faible. Résolument durcie dans ses choix esthétiques – passer de King Hannah et Aldous Harding en 2022 à HotWax, Psychotic Monks et Warmduscher en soirée d’ouverture sonna comme un manifeste –, la Route du Rock 2023 a offert son lot de souvenirs durables. Voici ceux de la rédaction.
1. Young Fathers, le pari gagnant
Il est minuit vendredi soir, et les festivaliers laissés les cheveux ébouriffés par la tornade Osees se demandent si la suite pourra vraiment être à la hauteur. Réponse : un grand oui. Le trio britannique Young Fathers, augmenté d’une troupe de choristes et d’un très théâtral batteur (les voir ici à Glastonbury), a déployé une énergie viscérale qui a fait mouche au fort Saint-Père.
La forme y est pour beaucoup : chaque membre du trio fait face au public avec son micro, tantôt scandant, murmurant, chantant, martelant un tambour placé à l’avant de la scène. Balayant leur inclassable discographie – avec une belle part du concert consacrée à leur excellent nouvel album Heavy Heavy –, les Young Fathers sont parvenus à créer une transe qui a parfois manqué lors de cette première journée de concert, embarquant même avec eux ceux qui ne les connaissaient pas.
Lorsque je les avais rencontré, ils m’avaient expliqué vouloir recréer sur scène le sentiment de communion qui unit leur bande depuis plus de dix ans. Il n’y a qu’à les voir unir leurs voix sur I Heard ou Geronimo, se marrer en demandant au public quelle chanson il veut entendre pour finalement entonner leur tube Shame (la réponse avait été prévue à l’avance) pour se dire que la mission est accomplie avec brio. M.C.
2. Jockstrap, un duo, un one woman show
On ne saurait vous dire si le projet Jockstrap se porte bien. Le groupe a rejoint Saint-Malo avec le persistant mot d’ordre “no promo” sur le front. Pas d’interview donc. Pas moyen de les sonder sur leur dynamique de groupe et leur avenir possible. La question se pose pourtant face à l’absence quasi ostensible de signe de complicité, voire de regard, entre Georgia Ellery et Taylor Skye, jusqu’à une étrange sortie de scène dans deux directions différentes.
Les deux jeunes musiciens se connaissent cependant suffisamment pour être capables de dupliquer sur scène l’étendue fascinante de leur monde, celle essentiellement constituée de leur album I Love You Jennifer B, désigné meilleur album de l’année 2022 par Magic. Entre folk mélodique d’une ampleur exceptionnelle et envolées digitales de night club, la musique de Jockstrap est d’une créativité et d’une intensité folles, parfaitement restituées sur scène. C’est toujours jouissif de constater qu’un groupe dont le répertoire est taillé pour les salles indé, à l’extrême limite de la maturité pour être tête d’affiche, fait le silence en festival.
La qualité du show tient essentiellement au rayonnement de Georgia Ellery, sa voix assurée, l’énergie de sa vingtaine, son goût pour la connexion avec le public désormais puissant, une sorte de grâce innée qui ne serait pas grand-chose sans sa maturité comme compositrice, instrumentiste, parolière et interprète. Ça se conserve longtemps l’état de grâce ? C.R.
3. King Gizzard & the Wizard Lizard, enfin au rendez-vous
Têtes d’affiche de l’édition 2022, déprogrammés pour raisons de santé, les Australiens ont assuré le show lors de la première soirée en extérieur, jeudi. La vague a été gigantesque et toute résistance fut rapidement vaincue. Sur le papier, le groupe a quand même tout pour nous énerver. Personne ne devrait avoir besoin d’autant de guitares pour faire du son. Les attitudes «classic rock vitaminé» des musiciens ont quelque chose de désuet. Les mélodies à chanter à tue-tête sont parmi les moins élaborées qu’on a pu entendre en Bretagne. Et pourtant elles se retiennent, se chantent à pleins poumons, vous passent sous la peau par tous les chemins possibles et créent un tsunami de vitamines et de vibrations irréfutables, qui doit s’appeler «état second», ou quelque chose dans le genre. Grand groupe de scène, vrai groupe de festival, King Gizzard & the Wizard Lizard est une formation phénoménale, qui se vit plutôt qu’elle ne s’explique – ce qui, pour le chroniqueur musical, est une délicieuse défaite. C.R.
4. The Black Angels, pères du revival psyché
Dans une édition dominée par le rock psychédélique, la prestation des Black Angels était parmi les plus attendues. Les Texans n’ont pas évolué au niveau stratosphérique de King Gizzard, mais se sont situés un cran au-dessus d’Anton Newcombe et son Brian Jonestown Massacre qui ne confirma pas totalement les espoirs de sa renaissance sur disque. Oscillant entre mouvement céleste et explosion heavy psych, les Black Angels nous ont bien collé la tête à la voûte cosmique alors striée de constellations luminescentes. Pour éviter l’ennui de la moitié de show, une brillante idée, avec la face rock’n’roll entrevue dans le dernier disque, qui fit passer le concert de solide à excellent via un mix détonnant de fureur de vivre fifties et de boucles gavées au LSD. Jusqu’ici bloqués en mode bouche (grande) ouverte, les spectateurs furent pris de violentes convulsions tout en continuant à phaser. M.J.
5. Jamie xx en mode fiesta tropicale
Jamie xx a proposé à Saint-Malo une expérience plus qu’un concert. Seul derrière la platine, avec des lumières aveuglantes scintillant à un rythme encore plus rapide que son électro clairement conçue pour s’oublier jusqu’au bout de la nuit, le membre du trio The xx, imperturbable, comme insensible à ses propres pulsions, a eu les épaules pour assurer la tête d’affiche de la soirée de clôture. Jusqu’ici plutôt électro dark, illustrant son art maison du «planage» numérique et de la mélodie glaciale, l’Anglais magnifique fit progressivement entrer la fin du set dans une autre dimension. Sur un groove funk tropical furieux mâtiné de coupé-décalé et de chœurs façon Motown, il a transformé la fosse en piste de danse électro universelle. Rarement aura-t-on vu une telle transe festive au fort dans une autre séquence que les afters du cœur de la nuit. M. J.
6. Sorry, les chouchous ont assuré
Dans notre petite sélection de nos cinq coups de cœur de l’affiche de cette Route du Rock, on avait glissé le nom de Sorry, nos petits chouchous depuis 925 (2020). Il faut reconnaître que les Londoniens n’ont pas hérité du créneau le plus facile – à 18h30 le samedi, quand le fort Saint-Père se remplit doucement. Mais derrière leur apparente timidité scénique, qui participe à l’attachement qu’on a pour Sorry, se cache une formule qui résume à merveille le Londres musical des années double-vingt. Une formule sublimée par une setlist sans faute de goût, empruntant autant à 925 qu’à Anywhere but Here, dernier album en date, et à leur EP Twixtustwain de 2021. On en aurait bien redemandé. C’était tout simplement beau, bon, sans faute. J.V.
7. HotWax, le découverte
Le trio anglais HotWax a ouvert la Route du Rock 2023 à la Nouvelle Vague avec une fougue et une innocence incandescentes, celle d’un groupe de post-ados venu tester ses premiers singles et les morceaux de son probable futur premier album pour la première fois hors du UK. Il est encore trop tôt pour dire si l’on a vu un concert pour l’histoire ou si ce fut une simple curiosité. Le répertoire est fidèle à l’énergie «indie grunge» des nineties qu’on a beaucoup aimée mais qui possède moins de force trente ans après quand elle ne s’émancipe pas du catéchisme initial, chose que l’on peut écrire à ce stade. Néanmoins on a adoré cette foi rock, ces looks et cette attitude sans complaisance, d’une générosité sans calcul, qui a d’emblée remis les idées en place sur une chose fondamentale : rock’n’roll will never die. C.R.
De nos envoyés spéciaux à Saint-Malo, Martin Cadoret, Maxime Jammet, Cédric Rouquette et Jules Vandale.