Göteborg, 2009. Deux lettres et un numéro apparaissent sur un 45 tours : JJ N°1. Derrière cet alias mystérieux et redondant, Joakim Benon et Elin Kastlander tracent un axe sibyllin entre pop minimale et hip hop dépouillé qui enflamme les prescripteurs de tendances musicales. Cinq ans et deux réussites plus tard, voici V, le troisième album du duo suédois, toujours énigmatique, inspiré, et perché. À l’image de la sélection musicale de Joakim, chasse aux pépites dans les eaux troubles de son pays, avec des commentaires sous haute influence céleste. [Interview Thomas Schwoerer].
Håkan Hellström – Försent För Edelweiss
Joakim Benon : Ce morceau est à la fois drôle et dingue parce que Håkan y exprime des choses légères et belles, comme sa joie d’observer les étoiles et de regarder Les 101 Dalmatiens (1961). J’aime cette chanson car l’histoire est charmante, et j’adore ses claviers, sa guitare folk, et l’atmosphère en général, géniale et un peu barrée en même temps. La partie que je préfère est cette envolée où il a l’air de décrocher complètement dans un instant de vertige. C’est vraiment une ritournelle que j’aurais envie d’écouter en famille. On se rapproche du cœur même de la création. Je me souviens qu’Elin et moi étions en train de nous balader dans le grand parc forestier de Slottsskogen à Göteborg. C’était l’été, les arbres dansaient, les adultes étaient souriants et heureux, on venait juste de terminer notre premier album (ndlr. N°2, 2009). Tout à coup, sorti de nulle part, un garçon a surgi brutalement en courant. Tu vois, ce genre de moment où tout le monde est détendu, dans un parc ou ailleurs dans la nature, où se mélangent les étrangers, la famille, les animaux et tout le reste. Chacun vit sa vie au même endroit et tout le monde a l’air de passer un moment parfait. Et soudain, une créature déboule et bouleverse complètement ce tableau idéal. Comme une porte qui s’ouvre sur une autre dimension, un autre temps. Il arrive en courant à travers le parc, et tous les regards convergent vers lui. Ce mec, c’était Håkan.
Fever Ray – I’m Not Done
L’histoire de cet extrait me rappelle celle d’une amie, qui est orpheline. Elle habitait avec un homme particulièrement méchant. Mon passage préféré dans I’m Not Done est celui où les orphelins finissent par vivre dans des familles plus bienveillantes. La mienne est de celles-ci. On s’apprécie tous énormément, on adore passer du temps ensemble et on s’entraide beaucoup. On aime écouter ce morceau et danser ensemble dessus. C’est drôle et génial de pouvoir faire ça. J’étais amoureux de la sœur de cette amie, et je me suis dit que je pourrais revenir la voir. On a fait l’amour sans s’arrêter. Je me suis endormi sur sa poitrine, mais le lendemain matin, elle est partie. C’était une vraie superstar, et je crois que j’ai fantasmé une histoire qui ne pouvait devenir réelle. Je ne pourrai jamais être avec elle, et ça me brise le cœur.
Kent – La Belle Époque
Ce morceau est génial car il montre à quel point Kent souhaite être ami avec les gens. Ça m’a rappelé ce moment où j’ai déménagé dans l’Indiana. Personne ne voulait devenir ami avec la fille qui venait d’arriver et qui ne parlait pas beaucoup. La Belle Époque me fait aussi penser à Shiloh, car dans l’histoire, le garçon parle de son meilleur ami, qui est un chien. La chanson est belle mais ce qu’elle raconte est un peu triste. Tous ceux qui déménagent dans une nouvelle ville ou qui ont un chien devraient l’écouter. J’ai un chien, et il peut compter sur moi. Si on y réfléchit, on est toujours un nouvel arrivant là où on vit. Je vois le monde comme un accouchement douloureux et magnifique. De plus en plus vite, on se rend compte de ce qui se déroule sous nos yeux. C’est comme une bombe à retardement, un signe, une chanson. Vous savez qu’on vous voit. On sait que vous nous voyez. Ressentez-nous.
Ebba Grön – Beväpna Er
1970. 1980. 1990. 2000. 2010. Les décennies se succèdent… Elin me demande souvent de jouer plus dur, plus fort, plus tendu, plus lumineux. Plus libre, au final. Quand j’entends Beväpna Er, j’imagine me jeter dans une bataille sanglante. Sans la moindre trace de peur. Juste de la chair, aucune larme. Pas de regret, et seul le destin contrôle la situation. Ma mère me jouait souvent cette vignette au piano quand j’étais petit. Et lorsqu’elle voulait interpréter d’autres titres, je lui demandais de me rejouer celui-ci. J’ai envie de vivre quand j’écoute Beväpna Er, et je suis heureux de savoir que les gens en ont peur. C’est un feu, un SOS, un drapeau… C’est un doigt d’honneur dressé envers tous ceux qui croient que le pouvoir est quelque chose qu’on peut garder à tout jamais.
Team Rockit – Luna
La seule chose qui me vient à l’esprit en écoutant Luna est un instant très particulier, celui d’un magnifique lever de soleil à proximité d’un château en Suède, tout juste baigné de lumière, et seul au monde. Les gammes de solfège sont d’une force réellement puissante, il ne faut pas les prendre à la légère, et il faut avoir foi en elles. Chaque nuit et jour sous et au-dessus de la lune. Pleurant pour rejoindre les forces éternelles Rockit de la statue Anima. Les nuits d’hiver froides et silencieuses sous la neige, en regardant le ciel noir et le cri éternel des étoiles. Juste pour être sûr qu’elles sont en vie. À travers Dieu, nous sommes en vie. Nous vivons notre rêve. Rêvons pour vivre. Un de mes meilleurs amis est la lune. Toujours là pour elle, et elle pour moi. Me montrant la lumière et la grandeur. Et me montrant ce que c’est que d’être éternel. Une calme extase.
Kendal Johansson – Courtesy Lafs
Ah, celle-ci est si ridiculement adorable que ça me donne envie de glousser et d’être heureux. Pour moi, c’est un peu comme la bande originale de tout ce qui a toujours été interdit. Kendal est une déesse, et je suis certain qu’elle ne vient pas de ce monde. Je ne pourrais jamais choisir ma chanson préférée de Kendal si on me demandait de le faire. Je ne me suis pas lancé le défi de l’écouter pendant que j’écris ces mots parce que je sais exactement l’effet que cela me procurerait. Kendal, Elin et moi sommes comme trois petits renards. Une famille de renards : père, mère, enfant. Nous cueillons de la nourriture pour les uns et les autres, nous dormons les uns sur les autres. Elin a composé une chanson et moi aussi, on l’a proposée à Kendal et cela a donné le 45 tours N°4 (2012). La face A, Beautiful Life, m’est venue à l’esprit lorsque nous étions à Brooklyn en 2010. J’étais sur un toit avec mon amie Maria, nous regardions le soleil se lever sur les îles. Il faisait excessivement chaud. L’US Open, les stars du rock… Puis on a bougé chez d’autres amis. New York a retourné notre cerveau et on lui a brisé le cœur. Pour ma part, j’ai toujours été perdant dans l’âme. J’ai souvent dû me défendre pour ne pas mourir de regrets face à un adversaire trop évident. Au final, j’ai tout et rien gagné à la fois.
Lorentz – Där Dit Vinden Kommer
Voilà ce qu’on fait en Suède en ce moment. Voilà comment on fait la fête. Voilà comment on meurt. On a rencontré Lorentz à Göteborg, et il nous a expliqué la signification du mot “schpränki” (ndlr. introuvable dans le dictionnaire). On est vraiment down avec lui depuis… Il est sous l’influence de Yoda. Dans l’idée d’éduquer la ville, le monde. Duvchi (ndlr. alias Jens Duvsjö, un Suédois responsable d’un featuring avec Lorentz & Sakarias) est un autre esprit éclairé de Stockholm, un autre magicien dans la cave. Et l’alchimie fait que nous sommes comme une tribu qui unit ses forces. Cette mélodie, c’est comme un tremblement de terre ou une explosion. Un peu dans l’idée de ce qui s’est passé à Toungouska (ndlr. une immense explosion d’origine inconnue survenue en juin 1908 en Sibérie). Qu’est-ce qui l’a causée ? Un astéroïde ? Une comète ? La main de Dieu ? Ou alors, est-ce que l’explosion de Toungouska a été causée par le solo de guitare de cette chanson ? On ne le saura jamais. Quand j’écoute Där Dit Vinden Kommer, j’imagine que ma peau devient du chrome ou de l’argent. Je deviens un Golem… qui conduit un lowrider. Elin et moi rejouant le Titanic sur le Richelieu. Un moment de grâce totale.