Bonnie 'Prince' Billy, Faust, Trans AM, Charles Hayward, Turzi… Il y aura encore du beau monde fureteur ce week-end à Boulogne-Billancourt pour la nouvelle édition du festival BBmix, qui se tient précisément du 20 au 23 novembre au Carré Belle Feuille. Il s'agira de la dixième levée du genre, et pour fêter cette décennie d'explorations sonores, les trois initiateurs de l'événement francilien partagent aujourd'hui avec nous les souvenirs de leur activisme au service du BBmix via une playlist de dix chansons et autant d'anecdotes et de sentiments qui y sont rattachés.
Marie-Pierre Bonniol : Sur la première édition de BBmix, gros coup de sueur. Alors que nous avons invité James Chance et le groupe original des Contortions, un autre artiste du festival nous informe que James Chance cherche en fait des musiciens pour ce concert sur des forums, comme Chuck Berry en son temps quand il se baladait de ville en ville. Avec l’aide de l’Ubu à Rennes, nous organisons en dernière minute un backing band composé de musiciens français… qui nous a fait danser très fort ce soir-là et accompagne toujours James Chance dix ans après !
MPB : Le concert de The Chap à BBmix faisait partie des quelques spectacles qui ont eu lieu à la salle polyvalente du Pont de Sèvres – une salle debout. Il y avait dans le public un jeune garçon de quatorze ans dont c’était là le premier concert indé après avoir vu Muse dans un stade. Il n’en est pas revenu. Toute sa conception de la musique, de ce qui pouvait être possible, avait changé ! Ce live a eu un impact majeur sur ses goûts et, aujourd’hui jeune homme de vingt ans, il est très actif dans la réalisation de films, notamment sur la scène électronique. Dans nos parcours, nous avons tous vécu des épiphanies de ce type et nous espérons chaque année en provoquer de nouvelles.
Pascal Bouaziz : Il y a des disques de dimanche matin, des disques pour danser comme un foufou, des disques pour conduire sur l’autoroute direction Marseille. Il y a aussi des disques de nuit. Pas des disques pour danser la nuit. Pas pour faire des choses la nuit. Des disques de nuit juste pour sentir que c’est la nuit. Que c’est la nuit et qu’on ne dort pas. On ne dort pas non, on aimerait mais on ne peut pas. Alors on écoute de la musique. Mais pas n’importe quoi : il y a des disques de nuit. Ceci dit, il n’y en a pas beaucoup, chacun reconnaîtra les siens, mais le meilleur et le plus beau disque de nuit, le plus beau et celui qui m’aura le plus servi, à moi, pour mes nuits, c’est évidemment Colossal Youth (1980), le premier album de Young Marble Giants dont on aurait pu extraire n’importe quelle chanson. Quand dans l’auditorium du centre Georges Gorse de Boulogne-Billancourt, où se déroulait alors BBmix, le bassiste de Young Marble Giants a branché sa basse aux alentours de deux heures de l’après-midi, j’ai eu comme un vertige, il a fallu s’asseoir. Madeleine sonore et sédative. Je replongeais dix-huit ans plus tôt dans mon pré-sommeil, platine vinyle qui tournait, et qui faisait office de Wurlitzer Jukebox pour moi tout seul.
Jean-Sébastien Nicolet : Autour de l’incroyable voix de Lola Olafisoye, un combo qui fait peur sur le papier avec sept musiciens tout droit issus d’un jeu de rôle grandeur nature (on pense évidemment à de l’heroic fantasy mais aussi au Sun Ra Arkestra), et notamment les Frères Smee du groupe black métal culte Cathedral. La musique de Chrome Hoof navigue pourtant dans des eaux bien plus agitées et sans limites de genre. Du post-punk psychédélique, métal parfois ou disco aussi… Un show tout en puissance, de riches orchestrations, un sens du groove, et le groupe est d’une telle rareté que même s’ils sont arrivés une demi-heure avant l’heure supposée de leur show, ils ont quand même bel et bien joué !
PB : Héros secret de l’underground new-yorkais, chanteur, auteur, peintre, prof de rock (!) à l’université de New York, remis en lumière à la fin des années 90 en France par feu le label Lithium, Dogbowl aura écrit depuis ses débuts au sein de King Missile quelques grandes, grandes chansons. Et au milieu de toutes ces chansons déchirantes, hilarantes ou flippantes, une dizaine de tubes lo-fi inoxydables dont ce Womanizer. Peu importe que les tubes en question ne concernent (pour l’instant) qu’une poignée de fans indécrottables. BBmix fait partie du club. À vie. Stephen Tunney était venu à Boulogne en famille comme à la maison. Les happy few qui étaient dans la salle ce soir-là tôt en début de soirée l’auraient tous pareillement ramené chez eux en famille.
JSN : Inscrites de longue date sur nos calepins de programmation, The Raincoats était LE groupe rrriot girl fondateur de ce post-punk aventureux qui a excité les amplis pendant tant d’années. Autour d’Ana Da Silva ont gravité des membres de The Slits, Mo-dettes et un ancien PIL. The Raincoats a aussi côtoyé des chouchous du festival comme Robert Wyatt, Charles Hayward de This Heat ou Sonic Youth. Le jour de leur concert, l’incroyable est arrivé : Ana est tombée de scène, poignet fracturé… Mais c’était sans compter sur le fait que les Raincoats n’ont JAMAIS annulé un concert. Et donc, malgré tout, le spectacle a eu lieu !
MPB : Avant de programmer Silver Apples à BBmix, nous l’avions invité pour une date unique avec Zombie Zombie au Nouveau Casino. Simeon, dont l’âge est probablement très proche de celui de nos grands-parents, nous avait alors séchés. Fringant et content alors qu’on était au cœur de la nuit, vers deux heures du matin, il avait invité tout le monde à danser. Son énergie, le soin et l’attention qu’il met dans ses concerts en tournée est exemplaire. Et ses performances sont extrêmement touchantes.
JSN : On n’en finit plus de tomber amoureux de ces sonorités krautrock au BBmix et le projet de Matt Williams, Billy Fuller et Geoff Barrow fut certainement un des moments de grâce du festival dans ce domaine. Les spectateurs bien engoncés dans les sièges rouges du Carré Belle Feuille un dimanche d’automne, températures froides dehors… Le trio nous emporte alors bien loin des contrées ordinaires, avec cette rythmique entêtante et léchée, presque venue du jazz, cette basse posée sur un tabouret qui singe la caisse claire et le tom basse et cet énergumène qui perturbe l’ensemble via ses claviers cyclothymiques et des guitares aériennes. Beak> a un son à lui inimitable dont Mono est peut-être la quintessence.
MPB : Programmer Felix Kubin vous implique autant sur scène que dans les loges. Son œuvre s’incarne autant dans les chansons qu’il compose que dans sa manière d’être, d’interagir avec les autres, d’injecter un peu de poésie et d’absurde dans les discussions et les situations les plus banales. There Is A Garden est une magnifique ritournelle d’amour, romantique et tendre comme un tapis de pétales dans une salle de bains, qu’il joue le plus souvent à la fin de ses concerts, parfois avec une rose à la main. Avec Felix Kubin, en concert, on passe par plusieurs états, des pieds qui fourmillent et qui ne demandent qu’à danser à l’envie de s’enrôler comme choriste à vie avec lui. L’amour, à fond.
MPB : L’album Faust IV (1973) est sûrement celui de Faust que j’ai le plus écouté. Le canon de Laüft…, sa rengaine répétitive en font une musique qui s’accroche, prompte à être fredonnée souvent. Peut-être parce que c’est chanté en français ? En tous les cas, ce morceau est mon préféré du groupe, qu’on est ravis d’avoir sur scène avec Ghédalia Tazartès, Charles Hayward et La Morte Young cette année !