Étrange métamorphose artistique que celle de THE NOTWIST, formation née à la fin des 80’s de l’envie d’allier bruit et mélodies et qui s’est dirigé peu à peu vers une pop arty teintée d’électronique. Une révolution musicale opérée en douceur tout au long de ces années et générée entre autres par les activités multiples des différents membres, que l’on retrouve çà et là, au sein de projets instrumentaux (Tied & Tickled Trio), purement electro (Console) ou downtempo (Lali Puna). Une révolution qui vient surtout de donner naissance à Neon Golden, le disque le plus abouti de ces Bavarois peu bavards, mais surtout pas avares en chansons idéales, en arrangements étincelants et ambiances feutrées à fortes tonalités mélancoliques. Ce petit miracle d’équilibre musical est l’œuvre de Markus et Micha Acher, Martin Gretschmann et Mecki Messerschmid, quatre personnages posés et passionnés, des artisans sonores qui ont avant tout l’amour du travail bien fait.
ARTICLE Christophe Basterra
PARUTION magic n°58Ils sont quatre. Quatre hommes d’une normalité surprenante. Presque inquiétante, en fait. Assis dans le hall d’un discret hôtel viennois, leur visage marqué par quelques excès alcoolisés datant de la veille, les cheveux hirsutes, tous en jeans défraîchis et blousons quasi informes, les membres de The Notwist n’ont bien sûr rien d’esthètes mélomanes, un peu dandy, un peu rêveurs. C’est pourtant ce que laissait croire leur musique, ou plutôt la musique qu’ils offrent depuis que Martin Gretschmann a rejoint le trio originel, un beau jour de 1997. Même sur scène, de façon complètement inconsciente bien sûr, ils brouillent les pistes. Efforcez-vous de n’observer que Markus et Micha Acher, et vous avez l’impression d’assister à un concert de Neil Young et son Crazy Horse, tant les attitudes des deux frères semblent tenir du mimétisme avec celles des musiciens américains. Concentrez-vous sur Martin Gretschmann en train de triturer ses machines et lancer ses samples avec un sourire goguenard, et vous voilà en face du fils caché de Woody Allen, dans le rôle d’un savant fou obnubilé par une certaine perfection sonore.
Enfin, derrière sa batterie, imperturbable, Martin Messerschmid ressemble à s’y méprendre au frère jumeau de Stephen Morris de New Order, pour cette même précision quasi-clinique et ces mouvements robotiques. Drôle de groupe que The Notwist, donc, originaire, qui plus est, d’une gentillette et bucolique bourgade bavaroise, Weilheim, située à quelques encablures de Munich. A priori, certainement pas l’endroit le plus approprié pour susciter de quelconques vocations musicales… “Au contraire !”, s’insurge presque Markus Acher tout en nettoyant ses lunettes. “À Weilheim, nous étions complètement isolés, c’est un petit village très conservateur. La musique était alors l’unique moyen de rendre nos existences plus intéressantes, plus excitantes. Et l’on a tout vécu de façon plus intense : si nous avions habité à Berlin, tout aurait été plus facile, nous aurions été perdu dans la masse. Nous, nous avions vraiment l’impression de nous rebeller contre l’ordre établi. (Sourire.) Dans une grande ville, quand tu portes des dreadlocks à l’âge de 14 ans, qui vas-tu pouvoir choquer ? Et puis, personne n’était là pour nous aider, c’était notre décision, il ne pouvait pas s’agir que d’une question de code ou de mode. Pour nous, le fait de monter un groupe était un acte crucial, c’était une déclaration d’intention. Quand on a créé The Notwist, nous étions vraiment la seule formation de Weilheim ! Et l’avantage, dans une petite ville comme celle-ci, c’est que tu n’as strictement rien à faire, aucun loisir : ça nous a permis de rester concentré sur notre musique”.
Immobilisme
Pourtant, si l’on jette un rapide coup d’œil à la discographie du groupe, la toute première réaction est de penser qu’il n’est constitué que de dilettantes, certes fort doués, mais dilettantes tout de même. Cinq albums, et à peu près autant de singles en quelque quinze années d’existence, on ne peut pas dire que ces gens-là aient particulièrement envie de se tuer à la tâche. Mais encore une fois, il faudra laisser ses intuitions premières au vestiaire et se rappeler – pour la énième fois – qu’il ne faut jamais se fier aux apparences. Surtout lorsqu’il s’agit de The Notwist. Car ces garçons sont en fait de véritables boulimiques de musique, quasiment incapables de s’éloigner des scènes ou des studios d’enregistrement. En fait, entre la sortie de Shrink en 1998 et celle de Neon Golden aujourd’hui, Markus Acher, par exemple, aura trouvé le temps, la force et les ressources créatives pour réaliser… quatre albums : deux avec Lali Puna, formation menée par la délicieuse Valerie Trebeljahr où il officie en tant que bassiste, et deux autres avec Tied & Tickled Trio, un projet au nom trompeur où il tient le rôle de… batteur et où l’on retrouve à ses côtés… son frère Micha !
D’autres que lui auraient déjà perdu la tête et seraient sans doute devenus de véritables schizophrènes, bien incapables de s’y retrouver dans ce drôle de dédale pour le moins incestueux. Le chanteur-guitariste de The Notwist, au contraire, trouve cette situation d’une limpidité effarante. “Il n’y a aucune confusion possible dans nos esprits ! Car chaque groupe a une direction musicale assez précise. Tied & Tickled Trio, par exemple, est un projet instrumental et nous ne pouvons bien sûr pas concevoir l’écriture de la même manière que dans le cadre de Notwist. Martin, de son côté, n’a jamais eu aucun problème pour décider quel titre il allait bosser avec le groupe et quelles chansons il allait garder pour Console, identité sous laquelle il conçoit une musique purement électronique. Maintenant, avec un certain recul, il nous arrive bien sûr de nous apercevoir que tel ou tel morceau aurait pu être joué par plusieurs formations. Mais nous savons également que le résultat final aurait été complètement différent”.
Micha Acher – qui regrette d’avoir un peu trop abusé du vin rouge autrichien, “vraiment très fort” – va même encore plus loin : “Comme The Notwist est le groupe le plus ancien, les gens pensent qu’il reste notre priorité. Mais ce n’est pas le cas, plus maintenant. À nos yeux, tous ont la même importance. Au départ, à cause de son antériorité, Notwist était bien sûr la formation la plus populaire, ou la plus reconnue tout du moins. Mais aujourd’hui, chaque projet a son propre public, a construit sa notoriété. Il existe plein de gens qui aiment bien Console et ne savent même pas que l’on existe ! Comme il y en a d’autres qui n’ont pas fait le rapprochement entre Lali Puna et Notwist. Et c’est d’ailleurs très bien qu’il en soit ainsi. Pour nous, le fait de multiplier les aventures est vraiment essentiel, primordial même. C’est très intéressant et surtout très enrichissant d’avoir toutes ces possibilités, de pouvoir explorer plein de directions différentes, ce que nous n’aurions sans doute pas eu l’occasion de faire si nous nous étions contentés, comme la plupart des autres musiciens, de nous concentrer sur une seule et même formation. De toute façon, nous ne pouvons pas rester en place, nous détestons l’immobilisme”.
Cet éclectisme, que ces drôles de personnages – sans doute dotés d’un don d’ubiquité – semblent avoir érigé en profession de foi, on va jusqu’à le retrouver dans les concerts mêmes de The Notwist, un groupe décidément pas comme les autres : “C’est vrai que nous décidons souvent des morceaux que nous allons jouer sur scène en en fonction du pays où nous nous trouvons”, affirme Markus Acher. “En Italie, on va en général proposer notre facette la plus rock. En France, vous semblez préférer le côté plus posé, plus introspectif, plus post rock en résumé. (Sourire.) Mais il ne faut tout de même pas exagérer, il existe quand même des constantes : en général, on commence souvent fort pour faire rentrer les gens dans le set et, ensuite, nous jouons les titres plus subtils, plus travaillés”.
Reggae rock
De façon moins surprenante, cette diversité existe également dans les goûts des quatre protagonistes. Papa Acher étant lui-même musicien de jazz – ses deux rejetons ont d’ailleurs joué à ses côtés dans son orchestre dixieland –, Markus et Micha ont toujours baigné dans ce milieu artistique et l’on ne s’étonne guère, dès lors, de leurs talents de multi-instrumentistes confirmés. Et si, au final, The Notwist avait opté à ses débuts pour une musique noisy, pas très éloignée de celle de ses modèles de l’époque, tels Dinosaur Jr ou Fugazi, la raison en est toute simple : “Dans les années 80”, explique Markus, “il y avait une émission de radio quotidienne que je n’aurais ratée sous aucun prétexte. Elle durait une heure et la programmation n’était constituée que de groupes américains hardcore et de formations britanniques carrément ‘underground’”. Puis, en parcourant les routes, au gré des rencontres et des discussions, The Notwist se branche sur de nouveaux sons, de nouveaux courants : le hip hop, l’électronique, le folk, le blues, le dub…
Autant de styles que l’on retrouve, par petites touches toujours discrètes, dans la musique du quatuor, et en particulier sur Neon Golden. “Effectivement, sur la chanson-titre, il y a un élément blues qui joue un rôle primordial, que nous avons utilisé pour créer cette ambiance particulière. Tout comme sur Pilot, tu as un passage inspiré du dub. Mais encore une fois, nous ne nous sommes pas contentés de décalquer ce style, nous voulions juste donner un certain ‘feeling’ au morceau. Nous ne cherchons pas à imiter ou reproduire ces genres musicaux, cela n’a aucun intérêt… Notre but n’est pas de jouer du reggae rock !” Et si une écoute distraite de ce nouvel album – ce qui serait, soit dit en passant, une véritable hérésie – pourrait laisser à penser que les quatre Allemands se sont laissés prendre à cette nostalgie 80’s qui semble avoir gagné, peu ou prou, la majeure partie des artistes aujourd’hui en activité, on devine quand même bien vite que la musique de The Notwist ne peut se contenter d’être unidimensionnelle.
Ce disque aux idées et trouvailles sonores déconcertantes en est une preuve éclatante et les musiciens et leurs divers invités – “tous sont des copains”, précise Markus – n’ont pas hésité pour parvenir à tel résultat à utiliser des instruments pour le moins surprenants : percussions exotiques – “dont certaines sont faites avec des peaux de serpent”, assure Martin Gretschmann qui semble enfin se réveiller –, banjo, contrebasse, clarinette sont ainsi venus enrichir les compositions de The Notwist. Des compositions qui ressemblent souvent à un numéro vertigineux de funambule, toujours en position d’équilibre précaire, mais qui jamais ne tombe dans le vide, qui parvient à chaque fois a retrouvé son assise. Entre expérimentation et inflexion ouvertement pop, entre mélodies enjouées et textes plus sombres, le quatuor jongle avec une dextérité étonnante.
“Je crois que c’est l’une des caractéristiques primordiale du groupe”, explique Micha. “Un exemple frappant, ce pourrait être Trashing Days, où la mélodie est vraiment légère alors que Markus évoque le fait qu’il est souvent victime d’agressions… On parlait tout à l’heure du côté blues de Neon Golden, pourtant, les quelques mots qu’utilise mon frère dans ce texte sont complètement à l’opposé de ce genre musical, ne serait-ce que ‘neon’. D’ailleurs, le titre en lui-même renferme cette idée de contraste. ‘Golden’ a une image chaleureuse, une dimension acoustique, tandis que ‘neon’ offre plutôt des connotations dures, froides, informatiques. En fait, cette notion d’opposé résume très bien le disque, qui est un peu une rencontre entre l’acoustique la pus simple et l’électronique la plus poussée : nous avons essayé d’harmoniser ces deux approches pour créer un ensemble homogène”.Un exploit que le groupe a réussi avec brio, en y ajoutant, qui plus est, une dimension pop tout bonnement étourdissante. Pilot, l’un des singles extraits du disque, en est un des exemples les plus frappants… Et l’on se prend à rêver de voir cette ritournelle dangereusement contagieuse se transformer en hit interplanétaire… Martin Gretschmann – qui a, avec Console et par le biais du morceau14 Zero Zero, goûté quelque peu aux joies du succès – se contente de sourire. “Oh, ce pourrait arriver, effectivement, mais, sincèrement, je ne le pense pas. Et puis, ce n’est pas un but pour nous, en fait. Nous pensons toujours en termes d’album. Ce qui était important, c’était de réussir Neon Golden de A à Z. Ce que je trouve assez consternant dans la plupart des disques actuels, c’est que l’on a l’impression que les types cherchent juste à composer deux ou trois morceaux très forts et qu’ensuite, ils se contentent de faire du remplissage, sans aucun scrupule”.
Et Markus de préciser : “Nous avons toujours apporté un soin particulier à nos mélodies. D’ailleurs, s’il y a une constante dans tous nos enregistrements, c’est bien ce côté pop, Maintenant, c’est vrai que l’on ne peut s’empêcher de le pervertir. Un morceau trop évident, sans surprise à un moment ou un autre, sans un élément un peu déstabilisant, il n’est pas aussi intéressant, en tout cas de notre point de vue. On n’y peut rien… (Sourire.) Ce n’est pas gratuit pour autant : lorsqu’une composition est trop évidente, on s’en lasse très rapidement. Mais que les choses soient claires : le format ‘chanson’ reste notre cadre d’expression. Même lorsqu’on essaye de prendre une direction plus ouvertement expérimentale, on finit toujours par retomber dans une structure ‘classique’, même si elle va être parsemée de sons étranges. (Sourire.) Et je crois sincèrement que nous sommes l’une des rares formations à envisager la musique de cette façon”. Quinze mois auront été nécessaires aux quatre amis pour donner naissance à Neon Golden. Un long processus inhérent à un perfectionnisme que l’on pourrait presque qualifier de maladif et à leur méthode de travail.
“Avec Shrink, je crois que l’on a développé une façon de bosser vraiment personnelle”, explique Micha. “En fait, pendant, un certain temps, nous collectons plein d’idées, puis nous les trions, nous en jetons certaines à la poubelle, nous en modifions d’autres. En général, quand nous arrivons en studio, nous n’avons pas d’idées vraiment précises en tête, juste quelques pistes, que, de toute façon, nous finissons toujours par abandonner ! (Sourire.) Par exemple, cette fois, on s’était dit avec Markus que l’on voulait réaliser un album monotone, bruyant et provocateur… Soit l’exact opposé de Neon Golden ! (Rires.) En revanche, dès le départ, nous nous sommes dit que l’on travaillerait sur ce disque aussi longtemps qu’il le faudrait, nous nous étions refusé à fixer une quelconque date. Il faut dire que notre façon de composer prend un certain temps. En fait, nous sommes trois écrire dans le groupe : Martin (ndlr : Gretschmann), Markus et moi Et chacun a sa méthode. Mon frère utilise plutôt une guitare acoustique, Martin, l’ordinateur, et moi, le piano ou l’ordinateur également. Dès que l’un d’entre nous a trouvé un ‘squelette’, il le passe à l’autre qui ajoute sa patte, et ainsi de suite. En fait, ça ressemble un peu à une partie de ping pong. (Sourire.) Ce qui nous plaît en procédant ainsi, c’est que, au final, personne ne peut savoir qui est à l’origine de la chanson, deviner comment elle née. (Sourire.) Car le travail particulier de trois individus se retrouve lié. Un morceau comme Pick up The Phone, par exemple, est né d’une idée de Martin, il en a trouvé la base sur son ordinateur, mais au final, il sonne comme si c’était un titre composé par Markus sur une guitare !”
Anonymat
Pour The Notwist, Neon Golden marque une étape capitale, peut-être même la plus importante dans la longue histoire du groupe. Non pas parce qu’il est sans aucun doute son disque le plus accessible à ce jour, mais parce qu’il est le premier à connaître une sortie simultanée dans toute l’Europe. “Pourtant, il ne faut surtout pas y voir un lien de cause à effet, même inconscient”, tient à préciser Markus. “Car lorsque nous avons pris la décision de signer avec City Slang et Labels, nous étions déjà dans la phase finale de l’enregistrement. Maintenant, c’est vrai que l’on voulait vraiment arriver à rationaliser tout cela. Auparavant, il pouvait se passer huit, dix mois entre la sortie d’un de nos albums en Allemagne et sa commercialisation en Grande-Bretagne, par exemple : on se retrouvait alors dans cette position bizarre, où nous repartions en tournée pour jouer des morceaux qui pour nous appartenaient déjà au passé”.
Ce n’est pas pour autant que The Notwist se rêve secrètement en futures pop stars. Et si tous avouent se sentir proches de groupes aussi connus que les Beastie Boys ou Radiohead, c’est avant tout pour “leur faculté à pouvoir imposer leurs quatre volontés à leur maison de disques respective. Musicalement, nous n’avons bien sûr pas grand chose en commun avec eux, mais il me semble que nous partageons une même philosophie, une même vision des choses, une même envie de liberté. Tout comme avec Stereolab ou la scène de Chicago en général… Pour en revenir à Radiohead, c’est incroyable ce qu’ils arrivent à se permettre après avoir connu un succès aussi impressionnant, alors que leur label compte forcément sur eux pour ramener des sous dans la caisse. (Sourire.) C’est vraiment l’exemple à suivre. Quoique… Je ne crois pas que j’aimerais que The Notwist soit aussi populaire qu’eux. J’ai vu l’autre jour à la télé ce documentaire, Meeting People Is Easy, et j’ai pu voir ce qu’ils ont dû accepter, endurer à un moment : toute cette promotion, ces tournées interminables. Il y a des images très fortes dans ce film, tu sens parfois qu’ils sont au bord de la rupture.… C’est effrayant. Je ne pourrais certainement pas me soumettre à ça. Il y a une pression énorme, et je ne pense pas que je pourrais la supporter. Sincèrement, je crois que je préfère garder mon anonymat. Tu sais, quand nous avons commencé le groupe, jamais je n’aurais pu imaginer que des années plus tard, il nous serait aussi facile de faire de la musique. Alors, je ne vois sincèrement pas ce que je peux demander de plus”.