Quand discrétion rime avec champion. Champion de la mélodie bien troussée, de l’arrangement boisé, du refrain raffiné. Tel est Birdie, le groupe formé par Paul Kelly et Debsey Wykes, qui, après deux albums injustement ignorés, sort aujourd’hui sur la structure allemande Apricot Records Reverb Deluxe, compilation de singles et d’inédits. À l’aune d’une sélection à la hauteur de sa réputation de mélomanes érudits, ce couple sur scène comme à la ville rappelle avec humour ce qui devrait être l’essence de toute composition : l’émotion.
INTERVIEW Christophe Basterra
PARUTION magic n°67Paul Kelly : J’ai découvert ce morceau avec mon frère (ndlr : Martin, co-directeur du label Heavenly, manager de Saint Etienne et, tout comme Paul, ex-East Village) il y a dix ans environ, chez un ami collectionneur de disques… Cette chanson est magnifique : imagine Bob Dylan accompagné par un orchestre à cordes !
Debsey Wykes : À chaque fois que l’on enregistre une cassette pour un copain, c’est toujours le premier morceau.
P : Dans cette sélection, nous n’avons pas forcément mis nos titres favoris… Nous en avons laissé plusieurs de côté. Tu as vu, il n’y a aucun Beatles. Ni Like A Rolling Stone de Dylan, ma chanson préférée de tous les temps. Mais c’était des choix presque trop évidents.
D : En fait, tu retrouves ici la bande-son de notre vie de couple… (Sourire.)P : Quand on a commencé East Village, à la fin des années 80, avec mon frère et deux amis, on rêvait d’être Buffalo Springfield. On les admirait, au même titre que les Byrds ou les Beatles… Cette chanson est incroyable, elle a à la fois un feeling West Coast et un côté northern soul. C’est l’un des groupes qui m’a vraiment donné envie de faire de la musique.
D : Pour Dolly Mixture, ma première aventure musicale à la fin des 70’s, le punk a joué le rôle de détonateur. Et, en particulier, le premier Lp de Blondie, que l’on trouvait parfait !
P : En revanche, la naissance de Birdie n’est pas liée à un quelconque mentor… Debsey et moi nous sommes rencontrés en accompagnant Saint Etienne sur scène, entre 1992 et 1994. Sincèrement, c’était agréable de jouer ces morceaux, mais, au bout d’un moment, nous avons eu envie de composer à nouveau.
D : Paul et moi avons ressenti la même chose au même moment, alors que nous étions juste amis à cette époque…
P : Toutes les chansons de cette sélection provoquent des émotions chez nous, et c’est bien le seul critère pour savoir si un morceau est bon ou non… On espère faire de même avec nos compos.J’adore leur premier album, Walk Away Renee/Pretty Ballerina… Tous les types avaient une formation classique, qui a donné ce côté baroque à leur musique. La production est très étrange : le piano et la batterie sont placés en avant et le reste, très en retrait… Ils ne sonnent pas du tout comme un groupe de New York, tu n’as aucune idée de leur origine en écoutant leurs disques. J’ai toujours trouvé ça intrigant.Des Canadiens que j’ai découverts sur une compilation Peebles. C’est du rock garage, mais il y a sur ce morceau le meilleur break de batterie du monde, qui allie simplicité et efficacité ! (Rires.) Si tu écoutes bien, tu comprendras que Blondie lui doit beaucoup. En fait, une fois la liste finie, on s’est aperçu qu’il n’y avait que des morceaux des 60’s… Mais on s’intéresse à ce qui se passe aujourd’hui ! De toute façon, on fait une liste de ce genre par semaine. Si ça se trouve, pour la prochaine, notre sélection ne concernera que les 80’s… (Sourire.)Je crois que c’est le disque favori de Martin, c’est de la pure northern soul. Il y a deux ans, Willie Tee a joué au Jazz café. Il n’y avait pas grand monde, ce que j’ai trouvé très triste car c’est un tel chanteur. Il doit avoir soixante ans, et il a une voix intacte… Comme Arthur Lee, que j’ai vu en juin dernier. C’est incroyable. Ces gens ont gardé tout leur enthousiasme. Je ne suis pas sûr que l’on sera comme ça à leur âge ! (Sourire.)
D : Je crois que j’aimerais toujours monter sur scène. Quand tu as goûté à ça pendant un temps, ça devient une façon de vivre. Et quand tu arrêtes un moment, tu es perdu… Car c’est presque devenu une seconde nature.P : Après le meilleur break de batterie, voici le meilleur extrait d’un texte… (Sourire.)
D : (Immédiatement.) “He tells me I’m pretty/And Then I feel pretty/ He says I make him happy/And then I feel happy…” (Sourire.) Je pleure à chaque fois que j’entends cette phrase. Mais bon, toutes ces chansons me font pleurer… (Sourire.) En tout cas, l’adéquation entre paroles et musique est ici parfaite !
P : Je crois que ce morceau est signé de Goffin et King. Si on avait la capacité d’écrire de tels trucs, on ne se gênerait pas. Nos compos sont comme elles sont parce que nous sommes trop paresseux ou pas assez doués. (Rires.)
D : Ce qui ne nous empêche pas d’adorer Triple Echo, notre deuxième album. Il y a des chansons qu’on peut encore écouter, comme Such A Sound, et c’est très rare…P : Bob Stanley m’a fait découvrir ce morceau, qui est très doux… Tiens, en plus de venir des 60’s, tous les artistes retenus sont nord-américains en fait ! (Sourire.)
D : Le chant est très beau une fois encore. En fait, je suis jalouse de tout ce que j’aime. (Sourire.) Et en particulier de… Barbara Keith !BARBARA KEITH Peace Of Mind
Plus que toute autre, voici la chanson que j’aurais rêvée de composer… Elle est d’une… beauté intense, avec juste cette voix et quelques accords de guitare. Je sais que je ne pourrais jamais ni chanter, ni jouer de cette façon. C’est à la fois simple et magnifique. Dans une autre vie, peut-être que j’aurais pu faire quelque chose de ce calibre. (Sourire.) Bob, encore lui, nous avait enregistré un Cd et ce morceau était dessus… On a passé l’été 1999 à écouter cette chanson. Elle est presque trop parfaite. Si on essayait de la reprendre, on la détruirait. Littéralement.
P : De toute façon, si l’on écrit des chansons, c’est qu’on est incapable de jouer celles des autres… (Rires.)Encore ce que j’appelle du… baroque’n’roll. C’est un croisement entre Dylan et les Monkees, perdu dans le Midwest américain. (Rires.) Un jour, après une rupture douloureuse, j’avais pris un acide et le trip a duré trois jours. Martin passait ce morceau dans sa chambre, et dans mon esprit, il était devenu mon ami… Je le suppliais de la passer encore et encore. Et je ressens la même chose encore aujourd’hui : Sometimes… est toujours ce morceau qui me permet d’échapper à l’enfer. En fait, je ne sais même pas s’il est vraiment bien ! (Rires.)D : Avec Saint Etienne, on est allé au Japon en 1993. Et Paul écoutait toujours cette chanson. Je ne connaissais pas Laura Nyro alors. En rentrant en Angleterre, j’avais toujours la mélodie en tête et, juste après, elle est venue jouer à Londres, à l’Union Chappel, peu de temps avant de décéder malheureusement. C’était merveilleux. Elle a une voix… liquide. Je donnerais tout pour pouvoir chanter comme elle.
P : Ce morceau, au même titre que son Wedding Bell Blues, est l’un des hymnes du label Heavenly. C’est le premier concert où nous sommes allés ensemble… Mais, heu…
D : En fait, c’est un peu embarrassant, car on fréquentait chacun une autre personne à l’époque. (Sourire.)P : À quinze ans, j’avais rejoint une mailing-list où, contre une souscription, tu recevais des compilations de soul et rythm’n’blues. En général, ce n’était pas très bon, mais j’ai découvert cette chanson de Junior Parker que j’ai adorée. C’est la version instrumentale, bien supérieure à celle chantée…D : On était dans un pub, à la fin décembre, et ils ne cessaient de passer l’album de Noël de Phil Spector. Quand cette chanson est arrivée, je me suis écriée : “J’adore ce morceau”. Et comme par enchantement, Paul aussi en était fan ! J’étais si contente qu’il l’aime… Les harmonies sont fantastiques. Et, bien sûr, très tristes. (Sourire.)
P : Il y a deux ans, je passais des disques à un concert d’Ed Harcourt. Je me souviens du jour, c’était le 21 juin. J’ai mis cette chanson, et deux ou trois types sont venus me voir : “Eh, vieux, tu sais que c’est l’été ?!”… “Sans rire”, ai-je répondu ! J’ai toujours eu envie de composer une chanson de ce genre, mais chaque fois que j’y pense, on est déjà en novembre ! (Rires.) Bon, si ca se trouve notre prochain album sera un disque de Noël, j’ai toujours aimé ça. Mais bon… Nous n’avons plus de label à l’heure actuelle. On a mis Birdie un peu entre parenthèses en 2002, même si on a trouvé le temps d’enregistrer six ou sept nouveaux morceaux. On le sait depuis belle lurette, mais ce n’est pas facile de faire un groupe… Quand tu n’as pas de succès en tout cas ! (Rires.) Des fois, je rêve de n’avoir jamais vu une guitare de ma vie. Je me souviens très bien de la première fois : j’étais gamin, j’étais chez mon meilleur pote de l’époque, Steve. Et j’ai vu cet instrument bizarre que je ne savais pas faire fonctionner. Mais je le trouvais très beau. En fait, cet instant précis a complètement gâché ma vie ! (Rires.)