Bristol ne rime pas qu’avec trip hop. Movietone en est l’une des preuves bien vivante. The Blossom Filled Streets, ci-devant troisième album, confirme le goût de ce groupe pas comme les autres pour les atmosphères oniriques et les expérimentations tranquilles. Avec cette fois un zeste d’optimisme.

ARTICLE Gilles Duhem
PARUTION magic n°43Kate Wright est d’humeur joyeuse ce jour-là. De quoi surprendre quiconque ne se fierait qu’aux accents mélancoliques que prend la voix de la jeune chanteuse de Movietone sur ses disques. De fait, The Blossom Filled Streets, troisième opus du groupe bristolien, est, comme le suggère son titre, d’une tonalité nouvelle, moins noire, et “plus tournée vers l’espoir”. “À l’époque de l’enregistrement de Day And Night (ndlr : le précédent Lp), ma famille était mourante, et l’on sent une certaine tristesse dans ma façon de chanter et dans mes textes, plus que dans la musique elle-même. J’essayais de traduire un état d’esprit particulier…” L’heure n’est donc plus à la déprime, mais à une nostalgie plus douce, voire une calme béatitude. The Blossom Filled Streets est un disque de renaissance, il raconte les différentes étapes de la vie d’une personne”. Comment parvenir à retranscrire un tel symbolisme sans tomber dans le piège de la grandiloquence ?

“Tout vient de la façon dont on le joue. Si l’on est vraiment honnête dans ce que l’on fait, cela sonnera passionné sans être emphatique”. Voilà, il est vrai, un groupe qui parvient à exprimer des émotions fortes en toute quiétude, sans artifices superflus. Les morceaux de Movietone sont faits d’étirements rythmiques, de répétitions lancinantes, de guitares cristallines ou de piano discret. Un son au puissant pouvoir suggestif, une musique cinématographique, qui donne à voir. “On adorerait faire des bandes originales, à la Ennio Morrice”, rigole Matt Jones, le batteur, également bassiste ou pianiste à l’occasion. Un rêve presque devenu réalité. “Nous avons pu jouer au Cube Cinéma, à Bristol, devant un écran qui diffusait des films que nous avions réalisés”. La mer est un autre thème récurrent du disque, avec des titres comme In a Marine Light, 1930’s Beach House ou Seagulls/Bass, enregistré sur une digue avec un vieux magnétophone, au milieu des cris de mouettes. “Il y a de superbes côtes près de Bristol. Écouter le bruit des vagues, la nuit, m’apaise, et j’ai toujours eu besoin de beaucoup de calme”, confie Kate.

Accidents

Parvenir à une sonorité aussi visuelle a sûrement à voir avec les techniques de composition et d’enregistrement dont sont adeptes les membres de Movietone. La part belle est laissée à l’improvisation et aux accidents. “Nous avons beaucoup joué les morceaux en laissant aller notre intuition avant d’enregistrer The Blossom Filled Streets. Kate arrive généralement avec les textes et un point de départ pour les chansons. Ensuite, chacun crée sa partie instrumentale spontanément. Pour 1930’s Beach House, nous avions tous un passage choisi du Dernier Nabab de F. Scott Fitzgerald à retranscrire musicalement”. Un parti pris expérimental qui rappelle les rôles que Brian Eno fait jouer à ses acolytes, et qui surtout laisse deviner la passion pour le jazz qu’ont en commun les Bristoliens. “Nous décidons parfois de garder les petites erreurs qui se glissent dans un morceau, à partir du moment où ça reste dans l’esprit et que cela ne compromet pas l’ensemble”.

Movietone n’hésite pas non plus à fabriquer et utiliser les drôles d’instruments que Matt fabrique, mélanges de basse, de guitare et de claviers… La genèse du groupe remonte loin puisque Kate, Rachel Brook (basse, clarinette et piano), Sam Jones (guitare, orgue, basse) et son frère Matt se sont rencontrés sur un banc d’école. “À l’époque, nous ne savions pas jouer, mais nous nous réunissions quand même, sans savoir exactement ce que nous faisions”. D’autres copains, dont Florence Lovegrove (qui joue de l’alto sur le disque), partageant les mêmes passions, forment assez vite une petite galaxie dont émergeront diverses formations – notamment Third Eye Fondation, Crescent, Flying Saucer Attack et Movietone  – à l’origine de la “Planet scene” de Bristol.

Il s’opère d’ailleurs régulièrement une véritable valse des effectifs, puisque chacun, ou presque, collabore avec deux, voire trois groupes successivement ou simultanément. Kate a fait partie de FSA, aux côtés de Rachel, mais aussi de Crescent, tout comme Matt Jones. Une véritable émulation créative, parfois remisée dans l’ombre. Car la ville du sud-ouest de l’Angleterre n’a souvent été vue que comme la Mecque du trip hop. Pas de quoi rendre amer Movietone. “Cela ne nous gêne pas du tout que Massive Attack, Alpha ou Portishead occupent le devant de la scène à Bristol, car ils ont vraiment gagné leur réputation”.

Endroits inhabituels

The Blossom Filled Streets est un album dont l’écoute requiert calme et attention. Celle-ci ne peut être jouissive que si l’on est en mesure de saisir toutes les subtilités instrumentales qui en font la texture sonore. “Notre musique n’est décidément pas faite pour être écoutée en night-club ou dans un bar. C’est un disque à écouter chez soi, si possible le soir”. Le même problème se pose quand il s’agit de la jouer en public. Le choix du lieu s’avère dès lors crucial. Le groupe recherche depuis quelques années des terrains propices à retranscrire des atmosphères particulières.

Certains sites trouvent néanmoins grâce à leurs yeux : “Un théâtre à ciel ouvert en bord de mer dans les Cornouailles, une péniche à Paris, de vieux cinémas, le ponton ou une église à Brighton, une salle de bal enfumée… Toute pièce ayant un bon écho naturel et un authentique piano”. Mais le facteur principal reste, de toute façon, le public. Kate se souvient d’un concert en ouverture de Third Eye Fondation. “Nous avons fini un morceau et personne n’a applaudi. Ils attendaient le groupe suivant. Le silence était total et l’on ne pouvait quitter la scène que par le devant… (Rires.)”. Il est à parier que, désormais, ce genre d’incident ne se reproduira plus.

Un autre long format ?