Chouchous des critiques – Gideon Gaye et Hawaii ont été encensés par la presse –, les High Llamas sortent aujourd’hui, avec Cold And Bouncy, leur album le plus onirique, le plus captivant, le plus abouti. Sean O’Hagan, érudit parmi les érudits, se remémore le parcours qui l’a mené à cette œuvre pop parfaite, qui pourrait bien être la seule alternative valable au déjà fameux Moon Safari.
ARTICLE Christophe Basterra
PARUTION magic n°18Dans les douillets locaux du néo-label V2, Sean O’Hagan se passe la main dans sa tignasse rousse alors que le plus fidèle de ses acolytes, John Fell – les deux compères sont ensemble depuis la déjà lointaine époque des légendaires Microdisney – se roule une énième cigarette : “Incroyable que ce soit aussi présent dans les mémoires, ça me semble si loin. Et, à l’époque, tout le monde semblait se contrefoutre du groupe…” Plutôt détendu, en pleine tournée promotionnelle pour Cold & Bouncy, Sean reprend son souffle avant de contre-attaquer : “Bien sûr que c’est frustrant de se voir toujours comparer à une seule et même référence… Surtout quand elle s’appelle Brian Wilson ! (Sourire.) Pour moi, depuis longtemps, mais en particulier avec ce nouvel album, il me semble évident que ce n’est pas notre seule et unique influence. L’impact d’un compositeur comme, au hasard, Ennio Morricone est tout aussi visible…”
Erudition
Sean O’Hagan n’a pas des allures de pop-star… De toute façon, il s’en moque. Il n’en a pas l’âge non plus puisque le maître à penser des High Llamas fêtera cette année ses… 39 ans. “Hum, oui, peut-être que j’ai perdu du temps… Enfin, non. Car je n’en ai jamais été le responsable. C’est ainsi, c’est tout. Regardes, nous voulions sortir ce disque en octobre mais les Etats-Unis ont préféré le repousser à janvier. Et tu ne refuses rien aux Américains… (Sourire.)” Surtout pas Sean, dont les goûts musicaux semblent toujours l’avoir mené outre-Atlantique : Beach Boys, Bacharach, hier, Labradford, Tortoise, aujourd’hui. Dire que l’homme est un passionné est bien peu de chose. Il passe ses journées – s’il n’est pas en studio, en concert ou en train de dormir – à écouter des disques. Il cite les noms avec respect, s’enthousiasme sur telle chanson, dissèque tel single ou tel album. “C’est étonnant, tout le monde croit que je n’écoute que des trucs du passé mais ce n’est pas tout à fait exact. C’était sans doute vrai il y a quelques temps. Mais ces derniers mois, la musique électronique est devenue à nouveau excitante. J’ai beaucoup écouté ce que l’on appelle du trip hop, j’adore aussi l’album de Luke Vibert”.
Quoi qu’il en soit, dans le parcours des High Llamas, il existe un “avant” et un “après”. Un avant et un après la rencontre de Sean O’Hagan avec Tim Gane et Laetitia Sadier, les deux mentors de Stereolab. Avant, Les High Llamas ont réalisé un mini-Lp, Apricots, sur Plastic Records – label de Chris Groothuizen, alors bassiste de… House Of Love – et un album, Santa Barbara, qui reprend les six titres du disque précité, agrémentés de quatre inédits, le tout exclusivement réalisé dans notre beau pays via Mute France. Si l’ombre des Beach Boys plane déjà, avec quelques effluves Steely Dan, on y (re)découvre un Sean O’Hagan à l’écriture classique, des chansons aux structures conventionnelles, une instrumentation des plus traditionnelles. Mais en 1993, donc, par l’intermédiaire d’un ami commun, Sean rencontre Tim. Les deux hommes mesurent leur érudition respective et le second invite le premier a collaboré au Space Age Batchelor Pad Music de Stereolab ainsi qu’à jouer du clavier lors des tournées européenne et américaine.
“Il est évident que tu as tout à gagner dans une collaboration. Bien sûr, j’ai beaucoup appris. Stereolab m’a fait découvrir d’autres horizons. Tout comme le projet Turn On avec Tim (ndlr : un album réalisé cet été sur Duophonic) : on s’est permis de faire des choses que ni lui, ni moi n’osions tenter avec nos groupes respectifs… ” Après, en 1994, le délicieux Gideon Gay pointe le bout de son nez : de nouveaux instruments se sont immiscés, les arrangements se sont faits plus luxuriants, des instrumentaux faussement bricolés émaillent un disque à la carrière chaotique. Initialement réalisé en 1994, sur le minuscule label Target, il est encensé près d’un an et demi plus tard, lorsque le groupe parvient à conclure un contrat de distribution avec la puissante Sony. “C’est vrai que Gideon Gay a reçu un accueil critique incroyable. Mais, sans faire la fine bouche, les gens se sont surtout contentés de le comparer à l’œuvre des Beach Boys… Bien sûr, c’était évident mais on a souvent oublié de voir que ce disque était très… courageux pour l’époque. En 94, la musique indé était entièrement basée sur les guitares. Nous étions complètement à part : nous avions décidé d’insister sur les harmonies plutôt que sur la dynamique”.
Quelques douze mois plus tard, Hawaii enfonce le clou d’un succès… exclusivement critique, même si le disque se voit affubler d’une étiquette easy listening qui, deux ans après une mode éphémère, semble difficile à porter. “Ce n’est pas bien grave… A partir du moment où des gens comme Lalo Schiffrin ou Burt Bacharach sont considérés comme du easy listening, ça me convient. (Rires.) Mais beaucoup de gens ont reproché à Hawaii d’être trop similaire à Gideon Gaye… Je ne suis pas tout à fait d’accord : pour moi, c’était avant tout une suite logique. Le disque était plus long, ce qui était assez ambitieux, les instrumentaux plus nombreux… Tout comme, d’ailleurs, Cold And Bouncy est le successeur de Hawai”.
Mais l’écoute de ce nouvel album des High Llamas laisse transparaître une autre dimension évidente. Les chansons offrent un côté plus ludique, les mélodies se font plus mutines, les partis pris orchestraux plus colorés. Cold And Bouncy est l’un de ces disques qui se “méritent”, qui ne peut se découvrir en une seule écoute : trop riche et trop intelligent pour se consommer à la va vite, entre la poire et le fromage. Sean O’Hagan esquisse un sourire : “Il y a des années, j’étais obnubilé par la composition classique… Mais je m’en suis lassé, le cadre est bien trop restreint. Aujourd’hui, je laisse plus de place à un côté expérimental. Mais je ne perds jamais le côté harmonique. En fait, sur ce disque, nous avons essayé d’avoir le meilleur des… deux mondes : les harmonies de l’écriture ‘classique’ et l’ambition expérimentale, celle que l’on pouvait trouver dans la musique d’avant-garde de la fin des 60’s”. Ainsi, Cold And Bouncy s’avère être un très savant dosage de boucles rythmiques, de samples, de vibraphones ou claviers vintage, de chœurs féminins à la Morricone, de refrains cajoleurs.
Mystérieuse
Aujourd’hui, les choses ont changé. Peu à peu, le public a retrouvé ce rare plaisir d’une écoute attentive : fini le temps du zapping. Enfin presque… Des albums comme le Endtroducing de Dj Shadow, les deux Portishead, le ComeFromHeaven d’Alpha voire même le maxi Premiers Symptômes des nouveaux sexy boys, Air – on retrouve, d’ailleurs, d’étonnantes similitudes entre ce disque et celui des High Llamas – ont bouleversé les habitudes… Tant mieux. Les artistes, les groupes peuvent à nouveau se permettre d’être ambitieux, sans pour autant se confronter à une indifférence chronique. Mais Sean O’Hagan ne s’en rend pas vraiment compte. Mieux, il ne s’en préoccupe pas…
“Pour moi, la musique doit rester mystérieuse… Il faut que l’auditeur puisse avoir sa propre interprétation, s’immerger dans la musique. Tu vois, Pet Sounds a réussi un tel tour de force. En revanche, prends Let It Bleed des Rolling Stones : tu les imagines parfaitement bourrés en studio…” Intarissable, Sean O’hagan avoue même : “Pour faire un disque excitant, il ne faut pas arrêter d’écouter de la musique… Tu trouves toujours quelque chose de passionnant, dans la bossa nova, le krautrock, les musiques électroniques, la pop. Regardes, la britpop était désespérante parce que tous ces groupes se contentaient de copier trois groupes, les Small Faces, les Beatles et les Kinks, et trois années, 66, 67, 68. Beaucoup trop de gens se contentent d’avoir une vision unilatérale : rock, techno, pop… C’est tellement ennuyeux. Si Luke Vibert est intéressant, c’est, bien sûr, parce qu’il maîtrise le drum ‘n’ bass mais aussi parce qu’il sait à quel point une mélodie, une structure sont importantes… Je sais que les High Llamas n’ont pas encore fini d’apprendre. Je suis fier de Cold And Bouncy mais je sais déjà que le prochain album sera encore meilleur”.