La surprise aura été de taille, tant on pensait Robert Forster opposé à l’idée que ne cessait de lui soumettre son vieux compère Grant McLennan. Et pourtant, les deux hommes ont fini par reformer The Go-Betweens, l’un des groupes maudits des années 80, malgré une dizaine de chansons taillées en forme de hits, de Man O’Sand To Girl O’Sea à Streets Of Your Town, en passant par Bachelor Kisses ou Head Full Of Steam. Après plus de dix ans et deux carrières solos en dents-de-scie, les deux hommes viennent défendre aujourd’hui la sortie d’un septième album, The Friends Of Rachel Worth, enregistré avec l’aide de musiciennes américaines habiles (Janet Weiss de Sleater-Kinney, Susan Coombes de Quasi…) et fort de dix chansons impeccables, aux charmes irrésistibles, au romantisme attachant. Les messagers sont de retour et les nouvelles sont bonnes.
INTERVIEW Christophe Basterra
PARUTION magic n°44Grant : Aujourd’hui, j’habite Brisbane, la ville où nous avons commencé le groupe il y a plus de vingt ans maintenant… C’est marrant, car je n’aurai jamais imaginé revenir vivre là-bas. (Silence.) C’est en en 1995 que j’y suis retourné car Robert y résidait à l’époque. Nous devions travailler ensemble sur un scénario. Puis Robert est retourné en Allemagne. Et moi, je suis resté. Quelque part, je trouve ça bien qu’un Go-Between soit encore à Brisbane… (Sourire.)
Quand avez-vous pris la décision de vous reformer ?
Robert : Au moment de cette tournée acoustique l’an passé, pour promouvoir la compilation Bellavista Terrace…. Nous étions à Melbourne. Grant a suggéré l’idée que nous fassions un nouveau disque ensemble…
G. : Et il a accepté… Je n’en revenais pas d’ailleurs car ce n’était pas la première fois que je lui faisais cette proposition. (Sourire.)
Et comment percevez-vous ce retour ?
Mais, nous ne sommes jamais vraiment partis…
Ce serait plus un nouveau départ alors ?
R. : Non, non, ce n’est pas un nouveau départ. Je verrai plutôt ça comme le second chapitre d’une histoire farfelue… (Sourire.)
Et lorsque vous aviez achevé le premier chapitre, avez-vous pensé qu’il pourrait y avoir une suite ?
Non, pas à l’époque en tout cas puisque Grant et moi étions vraiment heureux que le groupe s’arrête. C’était tout de même notre volonté. Tout comme nous sommes très heureux aujourd’hui d’avoir décidé de recommencer… Il était bien, presque essentiel même, que le groupe s’arrête au moment où il s’est arrêté car, souvent, des formations durent pour arriver au point où elles ne savent même plus pourquoi elles existent encore… Si ce n’est par habitude. C’était bien de prendre ces dix années sans travailler ensemble et d’en profiter pour collaborer avec d’autres gens… Car, quand tu recommences, l’énergie, de nouvelles idées sont au rendez-vous…
La punk douce
Comment aviez-vous réagi lorsque vous aviez appris la reformation de l’un de vos groupes favoris, Television, en 1992 ?
G. : Je les avais vus à Paris, au moment où nous faisions la première partie de Lloyd Cole. Sur scène, il était évident que Richard Lloyd et Tom Verlaine ne communiquaient pas. Je parle en tant que fan. Quant à l’album, je ne crois pas que les chansons étaient aussi bonnes que sur Marquee Moon, qui reste un disque extraordinaire, Adventure ou même sur les premiers albums solo de Lloyd ou Verlaine.
Pensez-vous que certains de vos fans puissent être suspicieux quant à la qualité de The Friends Of Rachel Worth ?
R. : C’est possible… Mais je n’ai qu’une chose à leur : “Allez acheter l’album et dites-nous sincèrement ce que vous en pensez !” (Sourire.)
Avez-vous changé votre façon de procéder pour l’écriture de cet album ?
G. : Non, non, pas du tout. Nous avons procédé comme auparavant. Robert a amené ses chansons, et moi, j’avais les miennes. Nous nous réunissions ensuite pour travailler les arrangements, pour nous critiquer mutuellement de façon constructive… Même si Robert joue du piano, la plupart des compositions ont été une nouvelle fois écrites à la guitare. Et l’inspiration vient toujours de nos expériences personnelles… Parfois, comme Robert, tu vas dans un club voir Patti Smith et tu as envie d’écrire une chanson à son sujet. Ou tu te retrouves dans la chambre de quelqu’un et tu décides de raconter cette expérience…. En changeant les noms peut-être. (Sourire.)
Et vous ne pouvez écrire que sur vos expériences personnelles ?
Tous les deux, d’une même voix : Oh oui, oui !
G. : Je ne peux pas m’imaginer dans la peau d’une autre personne. C’est impossible… Je trouve ça déjà suffisamment difficile d’être moi-même…
Sur ce nouvel album, on retrouve un peu tous les éléments que les Go-Betweens ont dévoilés sur leurs disques précédents…
Oui, exactement ! Je trouve sincèrement que c’est le disque le plus touchant des Go-Betweens à ce jour. Le meilleur, je ne sais pas, car il est bien trop tôt pour le dire. Je trouve aussi que c’est un disque très “punk” dans l’esprit. Je trouve amusant qu’il sorte sur Roadrunner en France, qui est un peu, je trouve, comme Kill Rock Stars. Nous sommes punks, et nous l’avons toujours été, d’ailleurs. Pour qualifier les chansons de ce nouvel album, j’utiliserai trois mots français : la punk douce… (Sourire.) Et j’utilise le féminin volontairement, hein !
R. : Nous voulions avant tout une approche très primitive pour ce disque. C’est entre autres pour cela que nous l’avons produit nous-mêmes. Et puis le fait d’avoir travaillé avec des gens comme Janet Weiss a aussi contribué à ce son. Ce ne sont pas des musiciens de session… Ils ont tous un style qui leur est propre, et ils l’ont apporté à nos compositions. Cela donne une certaine jeunesse au disque. Ça n’aurait pas été bon si Grant et moi étions revenus avec un album trop “poli”, en essayant d’avoir un hit. Nous sommes revenus en tant que Go-Betweens, alors, forcément, ça ne pouvait être qu’étrange… (Sourire.)Quand avez-vous rencontré les musiciens qui vous accompagnent sur le disque ?
G. : On connaissait Sam Coomes de Quasi depuis quelque temps déjà. Janet, on a eu la chance de la rencontrer lors de la tournée de l’année dernière. Robert connaissait bien les disques de Sleater-Kinney et elle, elle nous a avoués bien aimer nos albums. D’ailleurs, en discutant, elle nous a dit que si l’on devait retourner en studio, il fallait à tout prix la contacter. Elle tenait vraiment à jouer avec nous !
R. : En revanche, je tiens à préciser qu’Elliott Smith ne joue pas sur notre disque ! Il nous a juste prêté une guitare. Ce qui est déjà fort aimable… Je le précise car, aujourd’hui, plusieurs personnes nous ont demandés quel avait été le rôle sur notre disque. La confusion vient peut-être du fait que nous avons enregistré l’album aux États-Unis, à Portland, dans un studio tenu par Larry Crane, et qui a accueilli Elliott pour des enregistrements.
G. : C’est aussi là où ont enregistré Pavement, Sleater-Kinney, Quasi ou Bikini Kill…
Avez-vous été surpris que ces musiciens soient fans des Go-Betweens ?
R. : Oh, il ne faut peut-être pas exagérer… Je ne sais pas s’ils sont vraiment fans… Disons que certains aiment bien certains de nos disques, c’est tout. Mais c’était très touchant qu’ils tiennent à participer à notre nouvel album.
“Gobetweeniser”
Sincèrement, ne trouvez-vous pas que vous êtes de meilleurs songwriters quand vous travaillez ensemble…
Hum, je ne sais pas… car ces morceaux ont été écrits avant que l’on reforme les Go-Betweens. Je savais que c’était des bonnes chansons au départ… Mais le fait de les travailler ensemble leur apporte certainement, comment dire, une autre dimension…
G. : C’est plus fort quand nous travaillons ensemble, car nous apportons chacun notre personnalité aux chansons de l’autre, mélodiquement ou dans les arrangements. De là à dire que nous sommes meilleurs songwriters, c’est peut-être aller un peu trop loin…
Vous ne regrettez pas de ne pas vous être réunis plus tôt ?
R. : Non parce qu’il fallait que ce soit le bon moment… Si nous avions fait ça plus tôt, je ne sais pas ce qui serait arrivé… Je ne suis pas sûr que les retrouvailles auraient été aussi propices. Je crois que nous avions beaucoup de choses à faire, à écrire chacun de notre côté.
Vous pensez être allé aussi loin que vous le pouviez en solo ?
G. : Oh non… Aller aussi loin que tu le peux, ce serait soit devenir aussi connu que Madonna, soit se retrouver dans un club minuscule perdu en Suède, en plein hiver, à jouer devant dix personnes. Maintenant, artistiquement, c’est possible… Sur mes deux premiers albums, Watershed et Fireboy, j’aime beaucoup les chansons mais elles sont desservies par la production… Pour Horsebreaker Star, je suis parti aux États-Unis. Et là, je voulais enregistrer tous les morceaux que j’avais à ma disposition, il fallait que je termine un cycle en quelque sorte. Je voulais repartir de zéro. Pour moi, In Your Bright Ray était un recommencement… Je n’avais aucun titre lorsque j’ai pensé à la réalisation de ce disque. Et c’était la première fois que ça m’arrivait. C’est une situation effrayante. En revanche, j’ai aussi profité de cette période sans Robert pour multiplier les projets, en particulier avec Steve Kilbey de The Church, ou le bassiste d’Underground Lovers. J’ai également travaillé avec Brett Myers des Died Pretty, un guitariste que j’apprécie depuis très longtemps.
R. : Personnellement, je pense que, musicalement en tout cas, j’ai à peu près tout dit en solo. En tout cas pour le moment. Mais je ne m’en suis pas trop mal tiré ! Après tout, sur quatre albums, je n’en ai fait qu’un seul qui soit vraiment nul… Ce qui n’est pas un si mauvais bilan. (Sourire.)Lequel est-ce, sans indiscrétion ?
G. : Oh, nous savons bien lequel est-ce… (Sourire.)
R. : Bah, il ne sert à rien d’en faire un mystère : il s’agit de I Had A New York Girlfriend…
G. : Bah, après tout, l’honneur est sauf puisqu’il ne s’agit que de reprises !
R. : Oui, c’est vrai… J’ai trouvé très enrichissant de collaborer avec travaillé avec Mick Harvey sur Danger In The Past, ou Edwyn Collins pour Calling From A Country Phone. Je me suis aussi risqué à produire un disque tout seul. C’était une phase vraiment intéressante… Nous allons jouer certaines chansons de nos disques solo sur scène. Je suis impatient… Je suis sûr qu’elles vont être immédiatement “gobetweeniser”, et qu’elles appartiendront au groupe… D’ailleurs, notre management a suggéré l’idée que nous réalisions un album live des Go-Betweens qui ne serait constitué que par ces titres-là.
G. : Ah bon ? Première nouvelle !
Secret
Qui a eu l’idée de sortir l’an dernier le Lost Album, où l’on trouve les premières compositions de Robert, de 1978 et 1979 ?
G. : C’est moi… Cela faisait longtemps que j’en parlais à Robert car j’ai toujours trouvé que ses compositions de cette époque étaient fantastiques. On n’avait pas le droit de les laisser dans l’oubli. D’autant plus qu’après, très rapidement, lorsque nous avons quitté Brisbane pour Melbourne, son écriture a évolué.
R. : Je n’avais pas écouté ces morceaux depuis une éternité. Mais je les ai trouvés pas mal, je me suis surtout rendu qu’ils capturaient parfaitement l’esprit de cette époque. Ça sonne effectivement très différemment de ce que nous avons pu faire par la suite. Ça ne ressemble pas du tout comme à notre premier album, Send Me A Lullaby, l’ensemble est très poppy… C’était un peu le chapitre manquant de notre histoire. C’est pour ça que je trouvais cette sortie intéressante.
Pour vous deux, l’avenir, ce sera les Go-Betweens ?
G. : Oui… Je crois que nous sommes bons. Et je pense que peu de groupes sont aussi bons. Sincèrement. Nous sommes excités par la sortie de ce nouvel album, et je ne pense pas que nous ayons encore atteint le sommet de notre art en tant que compositeurs. Je trouve que l’histoire des Go-Betweens est fascinante. En fait, si tu l’étudies de près, tu as presque l’impression de lire un roman…
Et tu n’aimerais pas l’écrire, ce roman ?
Nous sommes tous les deux intéressés par l’écriture au sens large du terme, que ce soit une chanson, un poème, un roman ou un scénario… Alors, qui sait ? (Sourire.)
Justement, tu parlais d’un scénario que vous avez écrit, Robert et toi, il y a quatre ou cinq ans : qu’est-il devenu ?
R. : Le titre en est Sydney Creeps… Il n’a pas été réalisé mais nous avons appris des choses. C’était intéressant de travailler ensemble sur un projet qui n’était pas musical…
G. : Aux États-Unis, des producteurs étaient intéressés mais ils voulaient transposer l’histoire à Miami ou un endroit comme ça. Mais ça ne pouvait pas fonctionner, alors nous avons refusé catégoriquement.
Vous êtes à l’écoute de ce qui se fait actuellement en musique ?
Bien sûr… Quand nous avons commencé, les gens dont nous nous sentions proches étaient plus âgés que nous : Television, Patti Smith, les Monkees, Bob Dylan… Et puis, ensuite, nous nous sommes sentis un peu esseulés. Bizarrement, je me suis “reconnu” dans Nirvana, un trio, comme nous à nos débuts, qui était passionné, qui se refusait à mentir… Musicalement, ils étaient sans doute différents… Quoique, si tu écoutes l’album “unplugged”, ces différences s’estompent. Aujourd’hui, les gens nous parlent souvent de Belle And Sebastian. Sincèrement, je ne vois pas tant de similitudes, que ce soit dans l’approche mélodique ou dans les arrangements, peut-être un peu plus dans l’attitude… En fait, je citerai plus volontiers Sleater-Kinney, qui est également un trio… J’adore l’écriture de Lou Barlow. Il existe des connections… Mais le plus important, à mes yeux, c’est qu’aujourd’hui, les chansons semblent à nouveau signifier quelque chose pour une partie du public… Des groupes peuvent exister en dehors des modes. En fait, les gens semblent à nouveau passionnés de musique, ils sont plus romantiques.
Vous pensez gagner un nouveau public avec The Friends Of Rachel Worth ?
R. : Oui, c’est une certitude… Nous avons arrêté il y a douze ans. Je ne dis pas que le public sera plus conséquent, mais il y aura de nouveaux auditeurs.
G. : Nous sommes un secret, bien gardé pour l’instant, mais je sens sûr que nous allons enfin percer, petit à petit.
Et à un nouveau fan, quel ancien album lui conseilleriez-vous ?
R. : Oh, tout dépend de la personne. S’il s’agit d’un jeune de seize ans, je dirai 16 Lovers Lane. Pour un étudiant à la Sorbonne âgé de 23 ans, je conseillerai Liberty Belle And The Black Diamond Express. Un type âgé de 27 ans, barman, devrait acquérir Tallulah. Le directeur d’un théâtre d’avant-garde, qui aurait 36 ans, aimerait plutôt Before Hollywood. Quant à un vieux chorégraphe de 63 ans, il serait bien inspiré d’acheter Send Me Lullaby…
Et Spring Hill Fair alors ?
G. : Il nous faut encore trouver un public pour celui-ci… (Rires.) Et, Robert a oublié de dire que tout jeune âgé de moins de dix ans se devait d’écouter le Lost Album. C’est vraiment un disque fait pour les enfants.