Le problĂšme pour New Order, c’est cette Ă©tiquette qu’on lui a collĂ©e, sans doute contre son grĂ©. Le meilleur groupe des annĂ©es 80
 La belle affaire. MĂȘme en ces temps de nostalgie bon enfant. Car une telle affirmation ressemble avant tout Ă  une parfaite Ă©pitaphe. Certes, les Mancuniens n’ont pas mis beaucoup du leur pour corriger le tir. Un album lors des annĂ©es 90. RĂ©alisĂ© il y a huit ans. L’Ă©quivalent, en matiĂšre de chronologie musicale, de plusieurs siĂšcles. Depuis – outre des projets solos (injustement) ignorĂ©s –, juste des compilations et quatre concerts Ă  se mettre sous la dent. Autant dire que tout cela fleurait bon la fin d’un rĂȘve qui nous avait tenus Ă©veillĂ©s depuis plus de vingt ans. Mais, alors que l’on s’apprĂȘtait Ă  fermer les yeux, New Order a fini par retrouver le chemin des studios d’enregistrement, ce terrain de jeux qui a fait de lui la formation la plus influente de sa gĂ©nĂ©ration. Le rĂ©sultat ? Dix chansons taillĂ©es sur mesure et rĂ©unies sous un titre en forme de manifeste, Get Ready!, pour un septiĂšme album puissant et mĂ©lodiquement infaillible, offensif, pertinent et solide comme un roc(k), cure de jouvence salvatrice, autant pour ses auditeurs que ses auteurs. Un disque qui bouleverse la donne et laisse Ă  penser que New Order est, en fait, le meilleur groupe de l’histoire de la musique pop.

ARTICLE Christophe Basterra
PARUTION magic n°53Un seul coup d’Ɠil suffit pour s’en convaincre. Ils n’ont pas changĂ©. Certes, physiquement, on comptera bien quelques kilos en plus ; on dĂ©cĂšlera aussi des cernes plus prononcĂ©es. Mais les expressions, les attitudes, elles, sont restĂ©es les mĂȘmes. Exactement les mĂȘmes. Bernard Sumner, arborant sa “lĂ©gendaire” coupe de Marines prĂȘt Ă  s’embarquer sur son porte-avions, a gardĂ© ce visage poupon, ce regard pĂ©tillant du garnement Ă  l’affĂ»t de quelque gaffe Ă  commettre. Peter Hook, lui, toujours aussi imposant, affiche son sempiternel air de dur Ă  cuire, a conservĂ© son allure de “biker” peu commode. Il montre d’ailleurs Ă  ses compagnons une large brĂ»lure sur sa jambe gauche. “C’est sans doute pour Ă©viter ce genre d’incidents que personne ne porte de bermuda sur une moto. Bah, ça prouve que l’on apprend Ă  tout Ăąge”, conclue-t-il alors que Sumner ne peut rĂ©primer un petit rire moqueur. Quant Ă  Stephen Morris, confortablement assis sur un divan, il adopte sa traditionnelle attitude impassible et silencieuse, prĂ©fĂ©rant Ă©couter sans sourciller le babillage ininterrompu de ses deux collĂšgues.

Gillian Gilbert, sa femme et quatriĂšme membre de New Order, est absente. Comme depuis le dĂ©but de la promotion de Get Ready!. Elle est restĂ©e Ă  Manchester, auprĂšs de son deuxiĂšme enfant – une petite fille nĂ©e il y a un peu plus dix-huit mois –, qui sort Ă  peine d’une trĂšs grave maladie. Une maladie qui a d’ailleurs empĂȘchĂ© la maman de participer autant que d’ordinaire aux sessions d’enregistrement du nouvel album de la formation qu’elle a rejointe un beau matin de l’annĂ©e 1981. Et dont elle fait, jusqu’à
 nouvel ordre, toujours officiellement partie. Ses comparses tiennent d’ailleurs Ă  le prĂ©ciser d’entrĂ©e de jeu. MĂȘme s’ils ont dĂ» se rĂ©soudre Ă  lui chercher un remplaçant pour les futurs concerts dĂ©jĂ  planifiĂ©s, au Fuji Rock Festival japonais ou sur la cĂŽte Ouest amĂ©ricaine, dans le cadre de la tournĂ©e Aera: One, mise sur pied par Moby. “Normalement, s’il n’y a pas de problĂšmes, Billy Corgan des Smashing Pumpkins sera sur scĂšne avec nous. Et puis, Phil Cunningham, l’ancien guitariste de Marion, devrait aussi ĂȘtre de la partie. C’est un chic type
 Mais il faut que l’on s’organise, qu’il vienne en Angleterre pour que l’on rĂ©pĂšte. Et je crois qu’on a du pain sur la planche Ă  ce niveau-là”, prĂ©cise Hook, en jetant un regard affectueusement inquisiteur Ă  son chanteur, qui fait mine – bien Ă©videmment – de n’avoir rien entendu.

 

Abruti

Pendant prĂšs de cinq annĂ©es, ces trois hommes ne se sont pas adressĂ©s la parole. MĂȘme au tĂ©lĂ©phone. Ce que l’on a bien du mal Ă  imaginer, tant il rĂšgne aujourd’hui entre eux une complicitĂ© sans Ă©quivalent. Mais, aprĂšs tout, comment pourrait-il en ĂȘtre autrement ? Entre des personnes qui ont passĂ© prĂšs de la moitiĂ© de leur vie ensemble, il ne peut qu’exister une alchimie quasi-surnaturelle. Sans aucun doute renforcĂ©e par les tragĂ©dies qu’ils ont dĂ» affronter : le suicide de leur ami, Ian Curtis, le chanteur charismatique de leur premiĂšre incarnation, Joy Division, le dĂ©cĂšs de leur premier guide en studio, le fantasque producteur Martin Hannett, en avril 1991, puis, en mai 1999, celui de leur lĂ©gendaire manager, Rob Gretton. Sans oublier la faillite du label qui avait toujours cru en eux, Factory Records, au moment oĂč le quatuor tentait de terminer dans la douleur l’enregistrement de Republic. Sans oublier les fermetures Ă  rĂ©pĂ©tition, pour cause de problĂšmes de drogues et de violences (avant son arrĂȘt dĂ©finitif, puis sa destruction, l’an passĂ©), de La Haçienda, ce club rendu mythique par l’explosion de la house et de la folie Madchester et qu’ils avaient contribuĂ© Ă  ouvrir en 1982, “pour tenter de rendre Ă  la ville ce qu’elle nous avait apportĂ©s”, aimait Ă  dĂ©clarer Peter Hook.

Il se dit que, dans la tourmente, on se serre encore plus les coudes. Et pourtant
 Alors que la derniĂšre note s’Ă©vanouissait dans la nuit de Reading le 29 aoĂ»t 1993, les quatre musiciens quittaient la scĂšne avec la mĂȘme idĂ©e en tĂȘte : “Cette fois, c’en est bel et bien terminĂ©â€. Ce que tout le monde – public, familles, amis, maison de disques – a dĂ» se rĂ©signer Ă  accepter au fil des mois. Car, pour les principaux intĂ©ressĂ©s, cela ne faisait plus aucun doute : New Order, douze ans aprĂšs des dĂ©buts nĂ©s d’un drame, avait cessĂ© d’exister. Jusqu’Ă  l’envoi par le regrettĂ© Gretton d’un fax presque anodin, au tout dĂ©but de l’annĂ©e 1998. La question formulĂ©e est simple et a surtout le mĂ©rite d’ĂȘtre claire : “Seriez-vous tentĂ©s par le projet de donner des concerts ?” À la surprise gĂ©nĂ©rale, le groupe dĂ©cide alors de se rĂ©unir. “Je crois que l’on Ă©tait tous trĂšs nerveux Ă  cette idĂ©e. Mais il fallait voir ce que chacun avait Ă  dire”, explique Sumner en piochant allĂšgrement dans une soucoupe emplie de cacahuĂštes. “Et je crois que l’on a vite compris que l’on Ă©tait avant tout heureux de se retrouver dans une mĂȘme piĂšce. En fait, je ne sais mĂȘme pas pourquoi nous sommes arrivĂ©s Ă  une situation aussi extrĂȘme. J’ai beau retourner le problĂšme dans tous les sens, je ne vois vraiment pas”.

Peter Hook, lui, a sa petite idĂ©e : “Peut-ĂȘtre parce que tu Ă©tais devenu insupportable, Ă©gocentrique et complĂštement abruti
 Mais bon, ce n’est qu’une hypothĂšse comme une autre. (Sourire.)”. L’accusĂ© fait la grimace et baisse la tĂȘte. “Toujours est-il qu’on s’est rendu compte que l’on avait envie de jouer ensemble, que l’on a donnĂ© ces quelques concerts (ndlr : Ă  Manchester, en juillet et dĂ©cembre 1998, Reading, en aoĂ»t, et Londres, pour la soirĂ©e du nouvel an) qui se sont trĂšs bien passĂ©s et que la suite s’est imposĂ©e d’elle-mĂȘme : on voulait retourner en studio”. Comme par enchantement – c’est donc vrai, le hasard fait parfois merveilleusement bien les choses –, le rĂ©alisateur Danny Boyle, fan absolu du quatuor, est alors en train de tourner un nouveau long mĂ©trage, The Beach. Pour sa bande originale, il aimerait compter sur la participation du groupe, qui voit lĂ  l’occasion parfaite de faire un petit tour de chauffe et de vĂ©rifier que l’excitation est bien au rendez-vous. L’enregistrement de l’inĂ©dit Brutal terminĂ©, chacun respecte ensuite ses engagements et retourne temporairement Ă  ses projets solo. Toujours en compagnie de Johnny Marr, Sumner achĂšve ainsi le troisiĂšme album d’Electronic, Hook retrouve son copain David Potts au sein de Monaco pour donner une suite Ă  Music For Pleasure, alors que Stephen et Gillian peaufinent un nouvel Lp toujours crĂ©ditĂ© Ă  The Other Two. Promotions et affaires courantes expĂ©diĂ©es, le grand chantier peut commencer.

OVNI

Certains se refusent encore Ă  l’Ă©vidence. New Order a pourtant changĂ© le visage de la musique moderne. Son apprĂ©hension autant que sa conception. Et ce, sans mĂȘme parler de l’influence de Joy Division, qui a posĂ© les bases de ce que l’on appellera par la suite le post punk – ou cold wave –, imposera un style sombre et glacial mille fois parodiĂ©s jamais Ă©galĂ©s et marquera Ă  jamais bon nombre d’adolescents transis. Sans Closer ou Love Will Tear Us Apart, pas de Slint, de Manic Street Preachers, de Hole, de Radiohead, de Smashing Pumpkins. Nirvana n’aurait peut-ĂȘtre mĂȘme jamais existĂ©. En tant que New Order, ses mĂȘmes jeunes gens ont jetĂ© des ponts entre des genres que d’aucuns considĂ©raient antinomiques, entre le rock indĂ©pendant et la disco. Avec Blue Monday – qui reste encore aujourd’hui, avec ses trois millions d’exemplaires, le maxi vinyle le plus vendu de l’histoire –, ils ont rĂ©alisĂ© la rencontre parfaite entre l’homme et la machine, le premier disque crossover, un hymne hĂ©doniste mais inquiĂ©tant, une machine Ă  danser intelligemment, qui n’en finit plus de triompher sur les pistes du monde entier.

En enregistrant l’album Technique en 1988 – en particulier du cĂŽtĂ© d’Ibiza, bien avant que l’Ăźle espagnole ne devienne le Benidorm des clubbers en mal de nuits blanches et autres afters –, ils ont avant tout le monde anticipĂ© le phĂ©nomĂšne house, ont confĂ©rĂ© une dimension pop Ă  ces rythmes implacables et permis ainsi qu’une musique “faite Ă  la maison” puisse aussi “s’Ă©couter Ă  la maison”. New Order, c’est le groupe de tous les paris, mĂȘme les plus improbables – avez-vous dĂ©jĂ  essayĂ© d’Ă©crire une bonne chanson qui puisse servir d’hymne Ă  votre Ă©quipe nationale de foot ? – celui qui a cru au dĂ©but des 80’s en une jeune artiste amĂ©ricaine nommĂ©e Madonna, en l’invitant Ă  jouer Ă  La Haçienda, aprĂšs l’avoir dĂ©couverte lors de leurs frĂ©quentes escapades dans les clubs new yorkais. Mais les principaux intĂ©ressĂ©s ont toujours semblĂ© Ă  mille lieux de ces considĂ©rations. Et continuent d’affirmer benoĂźtement qu’Everything’s Gone Green – cet OVNI Ă©lectro-psychĂ©dĂ©lique rĂ©alisĂ© en 1981 – est nĂ© en studio d’un incident technique.

Que, s’ils restent les premiers Ă  avoir osĂ© jouer en direct sur le plateau de la cĂ©lĂšbre Ă©mission Top of The Pops – le temps d’une version hypnotique et hallucinĂ©e de Blue Monday –, la raison est d’une simplicitĂ© dĂ©sarmante, comme l’expliquait Stephen Morris il y a plusieurs annĂ©es : “On se serait senti complĂštement idiots si nous avions fait un play back. On est sans doute encore moins bon Ă  mimer nos chansons qu’Ă  les jouer live
 Il n’y avait aucune dĂ©claration d’intention”. Et lorsqu’ils composent un hit radieux du calibre de True Faith, ils s’excusent presque en affirmant que le morceau est nĂ© par accident alors qu’ils s’essayaient, sans succĂšs bien sĂ»r, Ă  une reprise du Lust For Life d’Iggy Pop. Et l’on se dit finalement que l’existence de The Chemical Brothers, Underworld, 808 State, Andy Weatherall, d’une bonne partie des catalogues Warp ou Rephlex tient en fait pas Ă  grand-chose. Pourtant, New Order, n’en dĂ©plaise Ă  ses membres fondateurs, est bien devenu une institution. Mais une institution qui, plutĂŽt que de se reposer sur ses lauriers, a encore des choses intĂ©ressantes Ă  dire.

 

Assassin

Depuis 1981, peu sont ceux Ă  avoir eu le privilĂšge de violer l’intimitĂ© du groupe en studio. On se souvient bien sĂ»r de Martin Hannett – “un type incroyable, avec des idĂ©es qui dĂ©passaient l’entendement et une approche trĂšs expĂ©rimentale” – qui, sur la lancĂ©e du travail saisissant qu’il avait rĂ©alisĂ© sur les disques de Joy Division, avait aidĂ© un New Order encore balbutiant Ă  accoucher de son premier album, Movement, et des singles Ceremony et Everything’s
.. Il y eut aussi Arthur Baker – “il a une habiletĂ© Ă  faire sonner les beats qui est vraiment impressionnante
 Disons que son physique donne une idĂ©e assez prĂ©cise de la puissance qu’il peut apporter Ă  un morceau” –, le magicien de la scĂšne amĂ©ricaine electro hip hop du dĂ©but des annĂ©es 80, qui guidera les quatre Mancuniens pour Confusion et Thieves Like Us. Stephen Hague – “un mot court suffit Ă  dĂ©finir son travail : pop” –, enfin, croisera par deux fois la route du quatuor, pour l’hymne True Faith en 1987, puis sur Republic, en 1993, disque sur lequel il fera quasiment Ɠuvre de cinquiĂšme membre. Le reste du temps, et en particulier sur des albums aussi somptueux, intemporels et dĂ©terminants que Low-Life ou Technique, les quatre Mancuniens avaient optĂ© pour l’autarcie.

Bernard Sumner explique aisĂ©ment ce parti pris : “C’est parce que l’on voulait expĂ©rimenter Ă  notre guise, dĂ©couvrir les arcanes de la production, sans que personne ne vienne mettre son grain de sel. C’est pour la mĂȘme raison que j’ai produit d’autres artistes au milieu des annĂ©es 1980 (ndlr : Paul Haig, Section 25, Happy Mondays, entre autres). Peter a fait de mĂȘme (ndlr : Minny Pops, Stockholm Monsters, ou, un peu plus tard, The Stone Roses sur le single Elephant Stone)”. Mais, Ă  nouveau millĂ©naire, nouvelle philosophie. Nouvelles envies, surtout. New Order – forteresse quasi inviolable jusqu’alors –, a dĂ©cidĂ© de s’ouvrir au monde extĂ©rieur. ImmĂ©diatement, on pense à
 Electronic, qui, des Pet Shop Boys Ă  Fridge, des Doves Ă  Karl Bartos, n’a cessĂ© de convoquer des artistes amis pour rendre justice Ă  ses compositions. TĂ©mĂ©raire, mais pas suicidaire, on se gardera bien d’exposer Ă  voix haute cette comparaison, de peur de provoquer le courroux d’un Peter Hook plutĂŽt sensible sur le sujet en question. Sumner, trĂšs diplomate, se lance heureusement dans des explications tout Ă  fait convaincantes.

“Ces deux derniĂšres annĂ©es, j’ai moi-mĂȘme Ă©tĂ© invitĂ© Ă  participer Ă  des disques d’autres groupes, Ă  ceux des Chemical Brothers ou de Primal Scream, et je me suis aperçu que j’aimais bien ce principe. Je trouve cela trĂšs libĂ©rateur, trĂšs ludique
 De plus, je crois qu’on n’avait pas envie de se retrouver juste tous les quatre. On a passĂ© l’Ăąge de genre de trucs. (Rires.) Maintenant, les gens qui participent au disque, on les connaĂźt, on n’a pas jouĂ© la carte de ‘l’invitĂ© superstar’. Billy Corgan venait souvent Ă  nos concerts quand on tournait aux États-Unis dans les annĂ©es 80. Il Ă©tait tout jeune, il devait avoir dix-sept ans et je crois qu’il avait rĂ©ussi Ă  sympathiser avec Hooky. Et si on lui a demandĂ© de venir chanter sur Turn My Way, c’est que, dans les premiĂšres versions, je trouvais que ma voix ne suffisait pas et que l’ambiance du morceau se marierait parfaitement avec le timbre de Billy. J’ai toujours apprĂ©ciĂ© sa façon de chanter
 J’aimais bien les Smashing Pumpkins, d’ailleurs. Quant Ă  Bobby Gillespie, on l’a rencontrĂ© il y a vingt ans”.

Ce souvenir fait rire Peter Hook : “Ouais, c’est vrai qu’on le connaĂźt depuis belle lurette. C’est marrant, parce qu’il n’aime vraiment pas qu’on lui rappelle qu’il a jouĂ© dans The Wake, il reste toujours trĂšs Ă©vasif sur cette pĂ©riode. (Rires.) En revanche, au sujet de Jesus & Mary Chain, il est beaucoup plus bavard. Va savoir pourquoi ! Bobby a toujours Ă©tĂ© fan de New Order, il ne s’en est jamais cachĂ©, il a mĂȘme dit un jour que Primal Scream n’aurait pas existĂ© et certainement pas enregistrĂ© Screamadelica sans nos disques. Il Ă©tait trĂšs nerveux quand il est venu en studio pour enregistrer
” Sumner le coupe : “Bon, ce n’est peut-ĂȘtre pas la peine d’en rajouter, si ?” “Nan, je te promets, c’est mĂȘme lui qui me l’a avouĂ©â€ Et le chanteur d’ajouter : “En tout cas, c’est vrai qu’il Ă©tait surexcitĂ© quand on lui a demandĂ© de venir participer au disque. Il a mĂȘme picolĂ© toute l’aprĂšs-midi tellement il Ă©tait heureux. Quand sa copine est rentrĂ©e du boulot, il Ă©tait complĂštement saoul, mais il Ă©tait fier de lui annoncer la bonne nouvelle
 Elle lui a passĂ© un savon, elle Ă©tait exaspĂ©rĂ©e de le voir dans cet Ă©tat. Bobby est devenu furieux, il a trouvĂ© une brique et lui a balancĂ© dessus. Il l’a ratĂ©e, mais la brique est passĂ©e par la fenĂȘtre. Le problĂšme, c’est qu’en bas de chez eux se trouve
 (Rires.) Se trouve un arrĂȘt de bus ! Bobby a tout de suite dessaoulĂ©, mais il n’a pas osĂ© regarder par la fenĂȘtre
 Si ça se trouve, on a enregistrĂ© un disque avec assassin”.Get Ready! ressemble au crime parfait. Impossible de ne pas succomber aux dix mĂ©lodies qui jalonnent ce disque plus agressif que son prĂ©dĂ©cesseur, moins influencĂ© par la scĂšne house. Il marque mĂȘme un retour Ă©vident au cĂŽtĂ© “rock” de New Order. Une facette que le groupe avait toujours eu tendance Ă  occulter, si ce n’est lors de quelques rares fulgurances : Sunrise sur Low-Life, Paradise ou As It Is When It Was sur Brotherhood, Dream Attack sur Technique rappelaient que le quatuor n’avait pas oubliĂ© ses premiĂšres amours, que ce soit les accords torturĂ©s du Velvet Underground, la puissance de feu des Stooges, les riffs ensorceleurs de Neil Young, la furie du punk, la noirceur de la new wave. Toutes ces rĂ©fĂ©rences – passĂ©es Ă  la moulinette mancunienne : batterie mĂ©tronomique, basse©Hooky, claviers vaporeux – sont encore plus flagrantes sur Get Ready!, du premier single Crystal Ă  l’abrasif Slow Jam, en passant par le trĂšs Joy Division Primitive Notion ou l’impitoyable Rock The Shack.

“Brutal a en fait donnĂ© le ton Ă  ce qu’allait ĂȘtre l’album, je crois que ce morceau nous a donnĂ© envie de poursuivre dans cette voie-lĂ . Il nous a donnĂ© l’envie de faire un disque plus axĂ© sur les guitares
 Ça ne nous Ă©tait pas arrivĂ© depuis longtemps”. Peter Hook saute sur l’occasion : “Tu sais Bernard, enregistrer un disque ensemble ne nous Ă©tait pas arrivĂ© depuis trĂšs longtemps”. Le chanteur ne se dĂ©monte pas pour autant : “TrĂšs drĂŽle
 Je reprends, si jamais ce monsieur veut bien arrĂȘter de donner dans l’humour potache. Donc, avec le recul, on peut dire que Brutal Ă©tait la mise en jambes parfaite pour ce qu’on avait envie de rĂ©aliser. On a dĂ©cidĂ© de composer Ă  nouveau Ă  partir des guitares parce que nous Ă©tions devenus un peu trop prĂ©visibles lorsqu’on utilisait des claviers. On n’arrivait plus Ă  se renouveler. Et lĂ , on n’avait pas envie de faire un autre album de New Order. On voulait enregistrer LE nouvel album. (Sourire.)  Par la force des choses, le disque est donc plus ‘agressif’, mais dans le bon sens du terme. Je crois aussi que le fait que nous ayons recommencĂ© Ă  composer ensemble Ă  jouer un rĂŽle trĂšs important, cela a apportĂ© une nouvelle fraĂźcheur Ă  nos compositions, tout Ă©tait plus spontanĂ©â€.

Miracle, Stephen Morris parle : “En tout cas, je n’avais pas jouĂ© autant de batterie depuis une Ă©ternitĂ©â€. À l’excellence de compositions portĂ©es par cette voix Ă  la nonchalance toujours aussi impĂ©riale, Bernard Sumner tient Ă  associer le travail du producteur Steve Osborne, ancien bras droit de Paul Oakenfold, dĂ©jĂ  croisĂ© du cĂŽtĂ© de Placebo ou Suede et qui avait par deux fois remixĂ© le quatuor, pour True Faith et World (The Price Of Love). “Il faut reconnaĂźtre que Steve a jouĂ© un rĂŽle primordial. Il est vraiment trĂšs fort
 En plus, ce qui Ă©tait amusant, c’est qu’il avait une idĂ©e assez prĂ©cise dont New Order se devait de sonner en 2000/2001, et qui n’Ă©tait d’ailleurs pas toujours la mĂȘme que la nĂŽtre. (Rires.) Il a Ă©tĂ© intransigeant avec nous, il ne s’est pas laissĂ© intimider”.

Peter Hook confirme : “Parfois, on avait travaillĂ© sur des passages qu’on trouvait vraiment rĂ©ussis et lui avait une moue qui en disait long. (Sourire.) En fait, je le comparerais un peu Ă  Martin Hannett. Il nous faisait faire des choses bizarres, comme d’enregistrer la voix et la batterie ensemble, sans rien d’autres, ce qui n’est pas le genre de trucs que l’on a coutume de faire en studio. Il est trĂšs mĂ©ticuleux : sur chaque prise, on pouvait le voir prendre des notes. Et chaque fois qu’il pensait qu’on pouvait mieux faire, il nous faisait recommencer. Il a le cĂŽtĂ© expĂ©rimental d’Hannett, sans pour autant perdre de vue l’aspect pop façon Stephen Hague. De toute façon, le rĂŽle du producteur, c’est avant tout de t’apporter quelque chose que tu aurais Ă©tĂ© incapable de rĂ©aliser toi-mĂȘme. Sinon, je ne vois pas l’intĂ©rĂȘt d’en prendre un. C’est ça son boulot”.

Sumner est visiblement tombĂ© sous le charme : “Il a pris nos morceaux et il les a triturĂ©s, malaxĂ©s, rĂ©agencĂ©s. Parfois, sur le coup, cela crĂ©ait une impression bizarre. On avait la sensation d’entendre des remixes de nos chansons alors que nous n’avions mĂȘme pas eu le temps d’enregistrer les versions originales. Get Ready!, pour moi, c’est un nouveau premier album, mais pour lequel on avait suffisamment de technique pour parvenir Ă  concrĂ©tiser tout ce que l’on dĂ©sirait. Je ne veux pas dire qu’on ne savait pas jouer avec Joy Division, mais lĂ , nous avions en plus notre expĂ©rience, de nos acquis”. On sent que le disque tient dĂ©jĂ  une place Ă  part parmi les disques que New Order a rĂ©alisĂ©s. D’ailleurs, aucun des trois amis ne parvient Ă  lui trouver un frĂšre aĂźnĂ© parmi ses six prĂ©dĂ©cesseurs. “Hum, ça me paraĂźt vraiment difficile”.

Peter Hook rĂ©flĂ©chit, interroge ses comparses. “Non, c’est impossible en fait, car je crois que c’est la premiĂšre fois que l’on se sent aussi libre. Avant, nous avions toujours des problĂšmes, qu’ils soient relationnels, liĂ©s aux
 drogues, ou financiers. Combien de fois avons-nous dĂ» nous dĂ©pĂȘcher d’aller en studio pour sortir un disque destinĂ© Ă  Ă©ponger les dettes de Factory”. Stephen confirme : “C’est vrai que, parfois, Tony Wilson nous suppliait d’enregistrer alors que l’on n’avait aucun morceau de finaliser”. “En fait”, conclue Bernard Sumner, “c’est la premiĂšre que l’on entre en studio avec des chansons complĂštement achevĂ©es, aussi bien pour ce qui est de la musique que des textes”. Des textes nettement plus autobiographiques que par le passĂ©, oĂč le chanteur Ă©voque avec pudeur sa rupture rĂ©cente avec son Ă©pouse
 Mais on sent le principal intĂ©ressĂ© peu enclin Ă  s’expliquer sur le sujet.

Solitaire

À entendre parler les trois comparses avec autant de passion et de conviction de Get Ready!, on a l’impression d’avoir affaire Ă  une bande de dĂ©butants, qui dĂ©couvrent les yeux Ă©bahis le grand cirque du rock. On a surtout du mal Ă  croire que ces gens aient pu avoir imaginĂ©, ne serait-ce qu’une seconde, de ne plus jamais travailler ensemble. Tout va si bien dans ce New Order version 2001 que le groupe a prĂ©vu de tourner en Europe Ă  l’automne, avec mĂȘme un dĂ©tour par la France. Une nouvelle qui fait figure d’Ă©vĂ©nement lorsque l’on se souvient que la derniĂšre prestation des Mancuniens dans nos contrĂ©es remonte au dĂ©but de l’annĂ©e 1989
 Mais l’on s’aperçoit cependant bien vite que l’Ă©vocation du “dossier concerts” reste Ă©pineux. Peter Hook, comme Ă  son habitude, boue d’impatience. “Mais je ne suis pas sĂ»r que Barney soit aussi emballé  (Sourire.) Allez, mon vieux, ne t’inquiĂštes pas, les rĂ©pĂ©titions vont bientĂŽt se terminer, et ensuite, Ă  nous la belle vie des chambres d’hĂŽtels, avachis des heures durant devant CNN !” Sumner n’a pas vraiment envie de plaisanter.

“C’est vrai que je n’ai jamais Ă©tĂ© fan des concerts. Je suis plus un homme de studio que de scĂšne, j’y suis plus Ă  l’aise. Et je crois mĂȘme que c’est devenu de pire en pire avec le temps. Et puis, maintenant, les chansons ne sonnent pas de façon trĂšs diffĂ©rente par rapport aux versions que l’on peut trouver sur les disques. En gros, on joue exactement la mĂȘme chose
” Le bassiste lĂšve les yeux au ciel. “Faudrait voir Ă  ne pas exagĂ©rer quand mĂȘme
” Stephen Morris remplit alors Ă  merveille son rĂŽle de modĂ©rateur : “Non, la grande diffĂ©rence, c’est qu’Ă  nos dĂ©buts, on jouait d’abord les morceaux sur scĂšne, puis on les enregistrait
 Tant et si bien qu’ils prenaient parfois une tout autre dimension, on les redĂ©couvrait complĂštement”.

Sumner n’est pas dĂ©stabilisĂ© pour autant et a dĂ©jĂ  trouvĂ© d’autres arguments : “De toute façon, je dĂ©teste tout ce qui entoure les tournĂ©es. Je n’aime pas parler, je dĂ©teste rencontrer des gens, serrer des mains. Je suis un grand solitaire en fait ! Je sais bien que je pourrais me terrer backstage, mais il faut bien que j’en sorte un moment ou un autre
 Et lĂ , tout le monde te tombe dessus, les fans t’attendent et te courent aprĂšs. Aux États-Unis, dans les annĂ©es 80, ça frĂŽlait l’hystĂ©rie !” Peter Hook garde son calme : “Tu rigoles, les gens ne savaient mĂȘme pas Ă  quoi l’on ressemblait physiquement ! Nous n’avons jamais Ă©tĂ© des pop stars au sens traditionnel du terme. On pouvait passer complĂštement incognito
 MĂȘme Steve, alors qu’on avait mis sa tĂȘte sur une pochette, n’avait aucun problĂšme !” “Eh bien moi, je me souviens de scĂšnes particuliĂšrement pĂ©nibles”, reprend le chanteur qui semble se refuser Ă  capituler et continue Ă  faire preuve d’une mauvaise foi bon enfant.

“Et puis, il y a toutes ces tentations
 L’alcool, les dealers. On ne peut plus se le permettre. (Sourire.) Sans compter les groupies
 Mince, je n’aurais pas dĂ» en parler, j’ai une petite amie maintenant”. Sans vraiment jamais avoir dĂ©frayĂ© la chronique pour leurs exactions – contrairement Ă  leurs contemporains de Depeche Mode, par exemple –, New Order n’a pourtant pas lĂ©sinĂ© sur les abus : absorption de drogues en tout genre, quantitĂ©s d’alcool Ă©difiantes – avec le curieux faible de Sumner pour le mĂ©lange Pernod/jus d’orange – Ă©taient le lot quotidien du groupe sur la route ou en studio. Le mode de vie du quatuor pouvait en fait se rĂ©sumer Ă  une Ă©poque par le titre du premier album de ses anciens compagnons de label Happy Mondays : 24 Hour Party People
 Quatre mots pour le moins Ă©loquents qui ont Ă©tĂ© choisis par, tiens, tiens, Danny Boyle pour baptiser son nouveau long mĂ©trage. Un film dĂ©jĂ  achevĂ© – et dont la sortie sur les Ă©crans pourraient avoir lieu Ă  l’automne prochain –, qui s’attache Ă  raconter la saga Joy Division/New Order/Factory.

“On nous a proposĂ© d’aller le voir en projection privĂ©e rĂ©cemment, mais nous avons prĂ©fĂ©rĂ© dĂ©cliner l’invitation. On n’est quand mĂȘme trĂšs Ă  l’aise avec l’idĂ©e de se voir, Ă  travers des acteurs, sur un grand Ă©cran. Surtout qu’au dĂ©but de l’histoire, on a vingt ans de moins !”, explique Peter Hook en rigolant. “On a bien sĂ»r suivi un peu l’histoire car cette histoire a mis la ville en Ă©bullition, ce fut l’unique sujet de conversation pendant des semaines et des semaines. On est quand mĂȘme allĂ© Ă  la fĂȘte qu’ils ont organisĂ©e lors du tournage, pour lequel ils ont reconstituĂ© La Haçienda. Et pour tout dire, c’est sans doute la meilleure soirĂ©e que j’ai passĂ© dans ce club alors qu’il n’existe mĂȘme plus. (Rires.) C’est un comble tout de mĂȘme ! Mais, c’est vrai que, pour une fois, on n’avait pas Ă  se prĂ©occuper des Ă©ventuels problĂšmes avec les videurs et les dealers
” Bernard n’est toujours pas revenu de cette reconstitution plus vraie que nature : “C’est impressionnant ce qu’ils ont rĂ©ussi Ă  faire. Je pensais qu’ils allaient utiliser des dĂ©cors, des projections, mais non, tout Ă©tait Ă  l’identique. Ils ont reconstruit l’endroit, avec des briques, du ciment et de l’acier !”

Le bassiste avoue mĂȘme avoir Ă©tĂ© quelque peu dĂ©stabilisé : “C’est vrai, tout Ă©tait plus vrai que nature
 Barney et moi sommes restĂ©s assis plus d’une heure, sans oser bouger. On voyait des fantĂŽmes partout, d’autant plus que les comĂ©diens Ă©taient lĂ . Et mĂȘme s’ils sont plus ou moins ressemblants, Ă  un moment ou un autre, on a eu forcĂ©ment l’impression de croiser Ian ou Rob Gretton
 Ce n’est quand mĂȘme pas Ă©vident Ă  assumer. (Sourire.) Maintenant, l’idĂ©e du film en tant que telle nous a toujours paru bizarre. Je ne vois pas qui peut ĂȘtre intĂ©ressĂ© pour aller voir un film qui retrace notre carriĂšre et l’histoire musicale de Manchester entre 1976 et les annĂ©es 90. À moins qu’ils ne dĂ©cident de ne le projeter que dans les cinĂ©mas de la ville !”. Peter Hook a bien raison en fait. Qu’importe le passĂ©, aprĂšs tout. Puisque, en 2001, comme Ă  l’Ă©poque de ses tout premiers pas, c’est bien le futur qui appartient Ă  New Order.

Un autre long format ?