Photo par Holly Whitaker
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Deux ans après "O Monolith", Squid est revenu le 7 février avec son album le plus sombre à ce jour – connaissant la discographie des bonhommes, il faut le faire. "Cowards" s’intéresse au mal, aux «mals», et à tout ce qui fait que ce concept philosophique n’a peut-être jamais autant pullulé dans nos sociétés actuelles. Rencontre avec Ollie Judge et Louis Borlase.

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Cowards semble être le disque le plus organique que vous ayez jamais enregistré. J’ai été surpris – dans le bon sens du terme – en l’écoutant, je me suis dit : «Ah ok, c’est vraiment différent de ce qu’on avait l’habitude d’entendre chez eux». Qu’est-ce qui vous a amenés à cette sorte de déconstruction du son, si je peux dire ça comme ça ?

Ollie Judge (chant / batterie) : Je pense qu’on voulait simplifier un peu les choses, notamment pour le jouer en live (rires). Non, ce n’était pas la raison principale, mais on avait envie de voir ce qui se passerait si on laissait plus d’espace dans la musique, là où c’était nécessaire. Il y a certains morceaux, comme Blood the Boulders, qui sont sans doute parmi les plus épurés qu’on ait faits depuis longtemps – peut-être même les plus épurés tout court, au moins sur la première moitié. Il y a très peu d’effets, les instruments existent vraiment pour ce qu’ils sont. Peut-être qu’on les laisse faire ce qu’ils font de mieux.

L’album explore différentes définitions du mal, et vous dites que ça vient d’expériences réelles que vous avez vécues ou observées. Quel genre d’expériences réelles, justement ?

Ollie : Ce sont toutes des histoires plus ou moins fictives, inspirées par des livres et d’autres choses. Mais l’envie d’écrire sur ces livres est venue en grande partie de la tournée. Je suis allé en Amérique, puis en rentrant, j’ai repris un bouquin sur Charles Manson et j’en ai relu une partie. Ensuite, je suis allé au Japon, où j’ai découvert un auteur japonais qui a inspiré une chanson. Puis en Europe de l’Est, j’ai lu un livre sur une ville médiévale de cette région.

Crispy Skin vient en partie de Tender Is the Flesh, roman de Agustina Bazterrica qui dépeint une société dans laquelle un virus a contaminé toute la viande animale. En raison de la pénurie de chair animale, le cannibalisme devient légal. Tu crois que l’instinct de survie finit toujours par surpasser la morale ? Ou dans ce genre de situation, est-ce qu’on arriverait encore à se voir comme des humains ?

Louis : Comment on gérerait cette situation, si ça ne dépendait que de nous ? Pas très bien, je pense. Cette chanson essaie d’explorer ça.

Ollie : Il y a pas mal de niveaux de lecture sur la morale dans ce morceau. J’ai lu ce bouquin et j’ai vu plein de gens dire que c’était l’un des trucs les plus perturbants qu’ils aient lus, que ça les avait poussés à devenir vegan, tout ça. Mais moi, j’étais juste là, allongé dans mon lit, et ça ne m’a fait aucun effet.

Tu veux dire que ça ne t’a pas bouleversé comme prévu ?

Ollie : Ouais. Cette chanson capture un peu ce moment où j’étais dans mon lit, en caleçon, à lire ce bouquin. Ça aurait dû me marquer au point de changer mon rapport à la nourriture, mais non. J’ai fini ma lecture et le lendemain, je me suis fait un sandwich au bacon.

Bien croustillant, j’imagine ?

Ollie : Le plus croustillant du monde, ouais. Et c’est ça qui est bizarre. Ce moment où tu réalises que ta morale n’est peut-être pas aussi solide que tu le pensais.

C’est un peu ce que pose la question du choix : tu préfères mourir de faim ou manger de la chair humaine croustillante ?

Ollie : Franchement ? Ça a peut-être meilleur goût qu’on ne le croit. C’est une question fascinante.

Dans nos sociétés actuelles, il y a une certaine fascination pour les meurtres, tout en étant vu comme l’acte ultime du mal. Il y a une véritable obsession pour les tueurs en série. On parle même d’hybristophilie, cette attirance pour les criminels. Tu as une chanson, Blood on the Boulders, qui s’inspire de Charles Manson. Qu’est-ce qui t’a marqué dans cette fascination ?

Ollie : Je ne sais pas trop. C’est un phénomène qui a explosé ces dix dernières années avec le true crime. Pour Blood on the Boulders, je ne voulais pas adopter le point de vue de quelqu’un impliqué dans l’histoire de Manson. Alors j’ai cherché sur YouTube et je suis tombé sur un gars qui visite les lieux des meurtres, filme tout et raconte l’histoire comme si c’était un documentaire amateur. Il montrait les endroits où ils ont posé ensemble, où ils sont morts… Je trouvais ça assez dérangeant.

C’est comme si tout ça devenait un spectacle ?

Louis : Exactement. C’est tellement éloigné du quotidien des gens que ça paraît presque irréel. On est un peu anesthésiés face à ça.

Comme des monstres pour adultes ?

Ollie : C’est ça. Manson est devenu une icône pop, au même titre que Kim Kardashian ou Trump. Juste un visage sur un poster.

Ce qui est encore plus fou, c’est qu’il y a des gens qui voulaient l’épouser. Il a failli se marier avec une fan, jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle voulait juste faire de son corps un mausolée après sa mort. Ce qui pose la question : est-ce que même les pires criminels méritent d’être heureux ?

Ollie : C’est une question presque impossible à trancher. On ne vivra jamais cette vie-là, et heureusement, on ne connaîtra sans doute jamais quelqu’un comme ça personnellement. Et en fait, si je dis non, que les gens mauvais ne méritent pas d’être heureux, je deviens une mauvaise personne, parce que je ne voudrais pas que les gens soient heureux, peu importe ce qu’ils ont fait dans leur vie.

Ça ne s’arrête jamais. Si tu devais développer une fascination pour un criminel, ce serait lequel ?

Ollie : Banksy, il a probablement enfreint la loi à de nombreuses reprises, tu sais, avec des degrés variés de criminalité.

Louis : Je cherche un criminel drôle, un peu adorable, tu vois ?

Ollie : Est-ce que tu aimerais ça, toi ?

Louis : Je veux dire, quelqu’un qui a fait des choses parce qu’il y croyait. Ouais, j’aime bien l’idée d’un criminel religieux. Ou un Robin des Bois moderne.

L’intégralité de cet article est à lire dans notre trimestriel N°234 à retrouver en cliquant ici

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