“Here we go again/Feels like I’m dying/Feels like I’m already dead”. Kevin Morby se révèle fort… morbide dans ses premiers mots. Mais s’il a intitulé son nouvel album Nature Morte, ce n’est pas par amour de l’immobilisme, mais bien parce qu’à l’instar d’une composition d’objets anodins, il cultive une mélancolie indicible comme présupposé à la création. Sur The Jester, The Tramp, & The Acrobat, Kevin entre en piste comme un troubadour, posant les bases d’un théâtre doux-amer dont les vignettes – petites histoires trop humaines – mêlent la mort (Amen) et l’amour (Our Moon) voire les deux ensemble (Drowning). Un programme ambitieux mais accompli avec ce tact qui avait tant séduit sur son premier essai Harlem River (2013) : tout en délicatesse et en classicisme idéal. Still Life a été écrit sur la route pendant des tournées interminables, et ça s’entend. Encore une fois, nous avons affaire à une œuvre nomade.
Toujours pendu aux mamelles éternelles du rock américain, Bob Dylan et Lou Reed, Kevin retrace à la seule force de sa guitare, d’un orgue et surtout d’un chant à nu, le chemin précieux qu’il avait parcouru à bord de son merveilleux Slow Train sur l’effort précédent. Le tout en convoquant le travail des plus doués de ses contemporains, de Kurt Vile (Dancer) à Cass McCombs (Bloodsucker) avec une pointe de The Walkmen (Amen), sans jamais s’éloigner de ses anciens compagnons de route Woods (les chœurs de The Ballad Of Arlo Jones). Décidément, le baladin n’a rien perdu du merveilleux de son songwriting, se permettant même de le peaufiner sur un single de haute volée, Parade, dont les vents et les chœurs viennent piétiner les plates-bandes de Leonard Cohen. Dans les derniers instants, un nouveau miracle surgit le temps des huit minutes d’Amen, prière désespérée mais lumineuse. Histoire de confirmer si besoin en était que l’auteur de ces deux coups de maître en moins d’un an est on ne peut plus vivant.