Rencontre avec Palem Candillier, auteur de "The Beatles", exploration de l'Album Blanc dans la collection Discogonie. Le livre paraît ce mardi et l'auteur explique sa démarche à Magic.
La collection Discogonie des éditions Densité a pour objet de consacrer un livre à un disque important de l’histoire du rock au sens large, à l’instar de la collection anglaise 33 1/3. Le 24 août 2021, paraît la vingtième référence de la collection ; intitulée The Beatles, elle se consacre donc à l’album sans nom des Beatles qui s’est inscrit dans l’histoire sous le nom de Double Blanc ou de White Album.
Paru en novembre 1968, c’est le dixième des treize albums du groupe et le premier à paraître sur leur propre label, Apple records. L’auteur, Palem Candillier, qui avait déjà écrit pour Discogonie un Nirvana – In Utero, signe un ouvrage passionnant sur ce disque, offrant un instantané saisissant de ce qu’était la formation de Liverpool à ce moment précis de leur trajectoire en même temps qu’une immersion dans les eaux turbulentes de ce double album, étrange et monstrueuse Moby Dick, aussi insondable qu’insaisissable.
Palem Candillier, dans le rôle du Capitaine Achab, s’il n’en perce pas tout le mystère, s’approche néanmoins au plus près du beau monstre blanc pour en révéler les formes oblongues, les reflets ivoirins, le souffle profond, la douceur laiteuse et les mouvements imprévisibles.
Rencontre.
MAGIC : Ma première question ne sera pas très originale mais elle est, me semble-t-il, incontournable, a fortiori quand il s’agit d’un groupe comme les Beatles, ce qui rend la concurrence très rude : pourquoi avoir choisi ce disque, le White Album, en particulier ? Ce n’est pas celui qui est le plus souvent cité comme leur chef-d’œuvre ; c’est un double, ce qui rend le travail plus ardu encore… Alors pourquoi celui-ci ?
Palem Candillier : Au moment de choisir mon premier album à aborder chez Discogonie, mon éditeur Hugues Massello m’avait dit : “D’accord pour Nirvana, mais pas n’importe lequel !” Nous sommes tombés assez vite d’accord sur In Utero, qui était plein de promesses et d’occasions de raconter quelque chose sur le trio de Seattle d’un autre point de vue que celui de l’écrasant Nevermind. Quand on a discuté de la suite, Hugues savait que je mourais d’envie de faire un Beatles, mais il y a eu la même intuition qu’il fallait faire entrer les Fab Four dans la collection par une porte à la fois originale et ambitieuse. Il m’a donc confié l’ascension du Double Blanc, ce qui m’a tout de suite emballé car c’est un de mes disques préférés du groupe, principalement parce que j’y retrouve une qualité que j’adore : un sens de l’artisanat musical, un côté bricolage miraculeux, très roots et très vulnérable.
La longueur de l’album ne me faisait pas peur, ça m’a permis au contraire de développer certaines idées, ça m’a donné plus d’espace pour faire de cette analyse un voyage à travers cette époque très particulière dans la carrière des Beatles. À l’époque, ils sont pop stars, entrepreneurs, compositeurs pointus, junkies pour certains, disciples mystiques et promoteurs d’avant-garde artistique ! C’était un challenge excitant de condenser tout ça tout en essayant d’apporter un autre angle sur ce fourre-tout mystérieux qu’est l’Album Blanc. J’ai conscience d’arriver dans une immense littérature pré-existante sur les Beatles, j’espère que ma contribution sera à la hauteur.
MAGIC : Justement, comment avez-vous abordé toute cette littérature ? Autrement dit, comment s’est passé le travail de documentation de votre livre ?
Palem Candillier : La phase de documentation pour préparer mes deux Discogonie est en fait très ludique. Tout d’abord, je me base avant tout sur les livres – les sites me servent surtout à préciser ou vérifier une information – particulièrement les parutions anglaises ou américaines, qui sont plus nombreuses et souvent plus détaillées. La littérature y est tellement immense, surtout pour les Beatles, que des auteurs ont pu se concentrer sur certaines périodes ou certains aspects du groupe pour ne pas refaire une biographie linéaire classique (c’est un courant qui commence à arriver en France et c’est très bien). Et puis c’est un aussi un domaine où il y a des auteurs installés depuis longtemps : Steve Turner, Paul Du Noyer, en France Jérôme Soligny, sans parler des témoins directs comme Hunter Davies.
Donc j’ai ma pile de références, dans lesquelles je prélève avec de petits onglets autocollants les informations ou les analyses qui me semblent pertinentes – il y a un côté “chasse aux oeufs” vraiment fun. Pendant ce travail de lecture et de repérage, je commence à construire mentalement le livre, ce qu’il va mettre en avant et ce qu’il va pouvoir apporter comme éclairage sur l’album. Une fois que j’ai lu une trentaine d’ouvrages différents (j’avoue que j’avais déjà un bon stock chez moi depuis ma jeunesse), je passe à l’écriture. Mais je continue ma veille en parallèle, je reste attentif à d’éventuelles sorties ou à une vidéo YouTube intéressante que j’aurais laissée passer et qui m’aident à compléter ma réflexion. J’essaie aussi d’intégrer des sources récentes, quand il faut avoir un travail de recul et d’analyse critique depuis notre époque, parce que c’est aussi comme ça que cette musique sortie il y a plus de cinquante ans continue de vivre.
MAGIC : Cette notion de plaisir, que vous évoquez dans ce travail de documentation, se retrouve, à mon avis, dans votre écriture elle-même. C’est quelque chose qui m’a marqué à la lecture de votre livre : il refuse de se prendre trop au sérieux. Des touches d’humour sont glissées ça et là mais, surtout, il y a votre refus d’aborder le sujet avec une révérence totale. Ça rejoint un de vos propos dans le livre : le Double Blanc «montre enfin les Beatles comme des mortels capables d’imperfections, de faiblesses et d’erreurs.» Vous évoquez en effet les comportements parfois décevants des musiciens et vous êtes parfois peu tendre avec certaines chansons du disque ! C’était important, ce regard lucide, cette liberté d’égratigner « le meilleur groupe du monde » ?
Palem Candillier : C’est vrai qu’à la base, l’album lui-même suggère qu’on le prenne avec humour et distance. Il y a quand même beaucoup d’emprunts stylistiques (country, ragtime, rock’n’roll, music-hall), de moments de légèreté pure et désintéressée, d’auto-complaisance et de failles, que The Beatles m’est tout de suite apparu comme un objet à ne pas trop prendre au sérieux, sinon c’était la porte ouverte à prendre tout au pied de la lettre ou à sur-interpréter.
J’avais vraiment envie de répondre à l’élan vital qu’il y a dans le disque, qui demande à ce qu’on lui renvoie la balle. En fait, c’est un disque espiègle. C’est d’ailleurs pour ça que j’insiste sur son côté interactif, que ça soit au niveau de la pochette, du tracklisting, des messages cachés ou des références. Je voulais aussi trancher avec ma façon de faire pour In Utero, qui était beaucoup plus neutre et froide, et prendre parti sur ce que je considère comme inférieur, mineur, ou alors totalement sous-estimé parmi ces trente chansons. Les comportements décevants des musiciens c’est une chose, et je pense qu’on ne peut pas entièrement comprendre et juger si on n’a pas été à leur place, mais que la musique ait des faiblesses raconte encore mieux l’histoire des Beatles à ce moment-là.
J’adore les moments où l’auditeur se demande : « qu’est-ce qu’il vous a pris ? », parce que tout à coup on voit autre chose que la légende, la vitrine, et en ça, The Beatles est une vraie mine de passages et de choix bizarres.
MAGIC : De ces choix bizarres, pour lesquels on ressent en effet de votre part une grande tendresse, résulte l’identité de The Beatles, à l’opposé presque de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967), album resserré, architecturé, «concept», très maîtrisé. A un détracteur de The Beatles et ardent défenseur de Sergent Pepper, quels arguments opposeriez-vous en faveur du Double Blanc ?
Palem Candillier : Je dirais d’abord que Sergent Pepper est un concept album malgré lui. On pourrait plutôt parler d’une unité miraculeuse, d’une cohérence extrêmement bien tombée entre tous les titres de cet album, mais pas vraiment d’un concept ou d’une volonté sur laquelle le groupe misait absolument tout – d’ailleurs John Lennon se chargera de descendre Sergent Pepper dès que possible par la suite. Il considérait son travail de songwriting comme meilleur dans The Beatles, et ça, déjà, ça donne la puce à l’oreille sur ce que chaque membre va donner de lui-même.
Et ça ne manque pas : ils affichent tous les quatre, très sereinement et très librement, leurs capacités d’écriture et leurs envies, avec parfois des ratés, mais sans autocensure. Pouvoir toucher le groupe d’aussi près, dans sa vulnérabilité justement, dans son dépouillement extrême, quitte à parfois constater à quel point ses membres s’éloignent les uns des autres, c’est une expérience assez rare ! Et en même temps, chaque petite partie qui forme The Beatles est transcendée par son ensemble, et je pense que beaucoup de monde aime cet album pour l’expérience générale qu’il procure, avec ses cassures de rythme, ses pastiches, ses audaces hard rock, ses expérimentations.
Si on a décrit “Sergent Pepper” comme la chapelle sixtime de la pop, “The Beatles” serait la Sagrada Familia : à la fois la même chose et pas du tout.
Palem Candillier
Ce n’est pas si éloigné de Sergent Pepper, finalement, car ce sont surtout les trois premiers morceaux et A Day In The Life qui sont cités comme ses sommets, alors que ce disque est aussi fait de Getting Better, Fixing A Hole ou Good Morning Good Morning. Et puis ce détracteur se rend-il compte qu’il défend When I’m Sixty-Four ? Scandaleux. En somme, si on a décrit Sergent Pepper comme la “Chapelle Sixtine” de la pop, The Beatles serait la Sagrada Familia : à la fois la même chose et pas du tout.
On sent le John du Plastic Ono Band (1970) ou d’Imagine (1971) qui est en train de naître dans l’Album blanc, tout comme le George de All Things Must Pass (1971) commence à éclore…
MAGIC : Oui c’est quelque chose qui est très bien narré aussi dans votre livre : les quatre individualités que sont les Beatles s’expriment chacun en leur nom dans le Double Blanc. Ce n’est pas tant l’album d’un groupe que le recueil de chansons soit de John, soit de Paul, soit de George, soit de Ringo pour Don’t Pass me by. Cette addition de singularités est d’ailleurs traduite par les quatre photos juxtaposées à l’intérieur du disque. Mais le White Album n’est pas que ça : c’est aussi l’album d’un grand groupe de pop. En quoi, selon vous, The Beatles est-il véritablement l’œuvre d’un groupe ?
Palem Candillier : C’est vrai qu’on retient l’éparpillement des énergies malgré tout, dans The Beatles : le “s” du pluriel dans le nom du groupe, qui sert en plus de titre, n’a jamais été aussi important ! John a en effet clamé que c’était une compilation de chansons personnelles que chacun amenait et où les trois autres – parfois moins – venaient prêter main forte. Mais ça n’est finalement pas si éloigné de leur mode opératoire de toujours, la seule (grande) différence c’est que le crédit “Lennon-McCartney” n’existe plus vraiment dans les faits. Les univers sont compartimentés, chacun se toise un peu de loin : John raille les chansons naïves et bon enfant de Paul, et Paul se fatigue de la propension de John à parfois surexposer son côté rebelle quitte à abandonner la musicalité ou le bon sens.
George, de son côté, fait ce qu’il veut, comme il avait déjà un peu commencé à le faire. Ringo fait fusible, et finit par lâcher, pour revenir heureusement. Je pense que c’est cette tension générale qui fait qu’on n’est pas encore dans une sorte d’ “album-solo-partagé” : le groupe est encore là parce que justement il y a ces frictions, ces bouderies, ces contributions nées sous la contrainte ou l’énervement, comme le piano d’intro et le rythme général d’Ob-La-Di Ob-La-Da trouvés par un John à bouts de nerfs ou les breaks majestueux de Ringo dans Long Long Long.
N’oublions pas non plus les vrais moments de collaboration, de création chorale : Dear Prudence ciselée au maximum de ses possibilités, Birthday boostée par une soirée plateau TV devant une comédie musicale rock et Yer Blues enregistrée à quatre dans un réduit des studios Abbey Road pour restituer une atmosphère claustrophobe. J’insiste beaucoup sur la part individuelle, voire individualiste, de The Beatles, mais l’unité créative est toujours là, même quand elle semble absente. C’est un des mystères du Double Blanc : son équilibre dans le chaos, son unité dans la pluralité.
C’est un des mystères du Double Blanc : son équilibre dans le chaos, son unité dans la pluralité.
Palem Candillier
MAGIC : Cette dimension de groupe, vous en parlez aussi dans la longue introduction du livre, qui offre des éléments de contexte au Double Blanc et revient sur les mois qui l’ont précédé. C’est là, notamment, que vous narrez le voyage en Inde des Fab Four dans l’ashram du Maharishi Mahesh Yogi, où les Beatles étudient la méditation mais composent aussi les chansons de l’album à venir. Ces pages sont passionnantes et on les lit comme on lirait une nouvelle, grâce à un très beau sens de la narration. Comment avez-vous abordé toute cette partie introductive au livre lui-même qui, obéissant à la charte de la collection Discogonie, détaillera ensuite la pochette et chaque chanson du disque ?
Palem Candillier : Merci pour les remarques, à vrai dire c’est cette partie-là que je craignais le plus en commençant à écrire. N’étant pas très branché hindouisme et culture indienne, j’ai eu peur de tourner rapidement à vide sur cet épisode, d’autant qu’il représente les premières vraies vacances des Beatles et le pic de leur période mystique. Les jours s’y déroulent sans heurt, avec une routine repas-conférences-méditation pas forcément passionnante à raconter.
Heureusement, l’histoire du groupe est très dense, ce qui fait que même en plein break spirituel il se déroule beaucoup d’événements décisifs et pourtant peu flagrants au premier abord. John commence vraiment à penser à Yoko Ono, la position de chaque membre vis à vis de cette expérience indienne est éloquente (ceux qui partent, ceux qui restent, et le clash final avec le Maharishi) et il y a bien sûr cette trentaine de chansons qui émergent, dans une ambiance totalement pastorale et sobre qui va déterminer une bonne partie du ton de l’Album Blanc.
Je tenais aussi à rendre le lieu et le décor plus concrets pour les lecteurs et à faire honneur aux personnages que les Beatles croisent là-bas et qui eux aussi auront leur impact. Je dois rendre hommage ici à l’une des bios de la première femme de Lennon, Cynthia, qui m’a mis sur les rails de ce que j’avais envie de faire. J’espère que l’immersion dans cette parenthèse créative du groupe, qui ne ressemble à aucun autre moment dans leur carrière, est réussie et permet de comprendre un peu mieux ce qui traverse ces musiciens avant d’enregistrer ce LP si étrange.
MAGIC : Ce double LP même ! Vous évoquez dans le livre la décision des Beatles de réaliser un double album plutôt qu’un simple et sur les spéculations infinies des fans du groupe depuis : et si cela avait été un simple, quels morceaux auraient été gardés ? A titre personnel, quels sont les morceaux que vous garderiez si il fallait ramener l’album à un seul disque ? Et, précision importante ! -, garderiez-vous l’expérimental Number 9 ?
Palem Candillier : Est-ce que The Beatles serait vraiment The Beatles si c’était un album simple ? Clairement pas, et j’aurais plutôt tendance à conserver ce foutoir sur deux galettes plutôt que de faire mon marché. Les Beatles eux-mêmes n’ont pas su ou pu choisir. J’ai des préférences, bien sûr, mais l’impact du disque tient à sa nature double, donc à force j’ai perdu l’envie de l’amputer de ses parties les plus hasardeuses. J’ai même appris à aimer les morceaux les plus insignifiants, leurs faiblesses sont des contributions à l’ensemble !
Après, on pourrait en faire plusieurs versions : ne garder que les chansons rock et musclées, de Back In The U.S.S.R. à Helter Skelter, ou alors faire un album complètement apaisé qui mettrait I’m So Tired, Martha My Dear et Long Long Long à l’honneur. On pourrait aussi fabriquer un disque pour enfants un peu acide et crétin, avec Ob-La-Di Ob-La-Da, Rocky Raccoon et The Continuing Story Of Bungalow Bill et même Wild Honey Pie, ça offrirait un prolongement pas improbable à Magical Mystery Tour (1967).
C’est ça qui est fascinant : j’ai rarement vu une pochette aussi “vide” cacher un prisme aussi multicolore. Je préfère jouer à ce jeu, imaginer des ramifications à The Beatles, des choix alternatifs mais qui se complètent, plutôt que de poser «mon» Album Blanc d’affinités, c’est tellement plus ludique et c’est ce que le LP nous incite à faire. Bon, j’avoue que pour cette question, j’ai quand même regardé ce que je garderais dans l’absolu si on me menaçait de me découper en tranches, mais je dépasse quand même allègrement les vingt chansons.
À la rigueur, il y a des titres qui auraient du être uniquement des singles, comme Ob-La-Di Ob-La-Da, et d’autres des faces B, comme le disait George. “Revolution 9” n’a quant à elle pas de meilleur endroit pour exister dans leur discographie, mais je pense que ce qui choque le plus, ce n’est pas tant sa présence dans The Beatles que sa position d’avant-dernière avant Good Night. On dirait un ultime pied-de-nez pour sortir l’auditeur de son confort, alors qu’aujourd’hui elle finirait typiquement en chanson cachée sur CD. Alors oui, je garde !
J’ai rarement vu une pochette aussi “vide” cacher un prisme aussi multicolore
Palem Candillier
MAGIC : Oui, on garde tout ! Trente chansons, donc, au total… et autant de chapitres, se consacrant chacun à une chanson, conformément à la charte de la collection Discogonie. Le tour de force de The Beatles (le livre !), c’est que le lecteur ne ressent ni lassitude, ni sentiment de répétition. Chaque chanson est traitée sous un angle particulier : vous creusez ici la structure musicale, là les paroles, ailleurs la genèse, ou l’enregistrement, ou une histoire qui dérive de la chanson. Comment avez-vous réfléchi et travaillé ces trente chapitres ?
Palem Candillier : Quand j’écrivais le Discogonie consacré à In Utero, je m’étais imposé de ne pas aborder chaque chanson de la même façon, de ne pas reproduire le même canevas. De toute manière, souvent le morceau lui-même vous impose de parler de lui de façon originale, et il faut aussi vous résoudre au fait que certains n’ont pas grand-chose à raconter !
Je pense que ce qui m’a le plus importé dans l’analyse des titres, c’est de toujours les raccorder à un ensemble plus grand : soit à l’album, soit à son contexte culturel ou historique, soit à son auteur. L’idée de consacrer un chapitre à une chanson est un pari de la collection qui doit avoir du sens à chaque livre, donc je fais en sorte que leur passage en revue ne soit pas anodin et qu’il puisse raconter le groupe par un biais ou un autre.
Why Don’t We Do It In The Road ? montre l’autarcie parfois forcenée de Paul McCartney face à sa solitude de futur outsider des Beatles, Happiness Is A Warm Gun est un rappel du génie psychédélique de Lennon, Blackbird parle de ségrégation raciale, etc. Les chansons témoignent toujours de quelque chose, ne serait-ce que le côté gratuit et crétin des Beatles !
Ensuite, écrire sur le quatuor implique qu’on marche dans les pas de centaines d’autres ouvrages qui ont déjà traité le sujet sous tous les angles et dévoilé bon nombre d’origines des chansons. J’ai voulu donc infuser un peu plus d’analyse musicale, avec l’aide de ma compagne compositrice, pour voir ce que tel choix de grille harmonique ou tel arrangement avait à dire. J’ai aussi poussé un peu de technique d’enregistrement dans ces chapitres, car le studio est un lieu et une pratique qui me passionnent depuis toujours. L’idée, finalement, c’est de rendre ce disque demi-centenaire vivant et toujours loquace !
MAGIC : On le sait, Palem, l’influence des Beatles sur la musique populaire est immense. Mais, à votre avis, quelle est l’influence du Double Blanc ? Quelles voies, quelles vocations a ouvert ce disque ? Quelles barrières a-t-il levées ? De quels héritages peut-il se revendiquer ?
Palem Candillier : J’aborde toute cette question de l’héritage de The Beatles à la fin du livre, mais je pense qu’elle mériterait un ouvrage entier ! Commençons par l’évidence : même si Bob Dylan et Johnny Cash avaient tiré les premiers, les Beatles ont créé un précédent et fait de la notion de double-album un fantasme et un symbole pour des générations de musiciens. Encore aujourd’hui, on doit aux Fab Four l’idée courante qu’on se fait d’un double LP : quelque chose de colossal et de généralement unique dans une discographie, un recueil volontairement ambitieux de chansons souvent dépareillées, une forme de déclaration d’intention de l’artiste ou du groupe sur ce qu’il est capable de faire à un moment donné de sa carrière, et bien sûr la nécessité que son emballage soit à la hauteur.
Donc The Beatles a presque défini le format double et ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés les Rolling Stones, Elton John, les Smashing Pumpkins, Nine Inch Nails… Je pense qu’il continue de le définir même après le passage au CD ou au numérique, qui auraient dû solder l’affaire vu qu’on est moins limité par la durée du support, et que ce germe planté en 1968 résiste.
Pour la musique, c’est peut-être plus diffus, enfin aussi diffus que peut l’être l’héritage des Beatles en général ! Je pointe souvent les reprises les plus inattendues qui ont été faites des chansons de l’album blanc, et qui pour moi sont révélatrices de son impact : Pixies, Siouxsie & The Banshees, Noir Désir, Mötley Crüe, des groupes indé anglo-saxons, des folkeux à la marge… Il y a un filon “punk de la première heure” dans The Beatles je pense, qui n’est pas dû qu’à ses morceaux radicaux et nerveux mais aussi à sa nature de patchwork, à son côté “DIY” – un terme que j’utilise à moitié pour plaisanter car, plus que jamais, les membres mettent les mains dans la technique, font des choix de coupes, de production, collent des bouts ensemble, se moquent des conventions, alternent les extrêmes…
C’est peut-être un regard trop actuel que je porte mais c’est plutôt rassurant qu’on ait encore tellement à piocher dans ce disque !
PALEM CANDILLIER
The Beatles
(DENSITÉ – COLL. DISCOGONIE) – 24/08/2021
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