The Czars – Best Of

(Bella Union/PIAS Cooperative)

Il n’est pas rare que le fan prosélyte ou le critique emporté par la force de ses convictions – oui, il s’agit en l’occurrence du même individu – cherche à gagner l’adhésion de ses contemporains contre les vents d’une sourde indifférence ou les inévitables marées hostiles des impondérables technico-commerciaux qui entravent le cheminement de ses champions de cœur sur la route du succès : mauvaise distribution, promotion inexistante, sens du timing déplorable ou tout simplement manque de bol. Il est moins fréquent qu’à ces facteurs extérieurs difficilement contrôlables s’en ajoute un autre, nettement plus problématique. Que faire alors quand on se retrouve contraint de défendre un groupe envers et contre tous, à commencer par lui-même ?

The Czars fait ainsi partie de ces rares formations qu’il faut avoir la force d’aimer malgré elles. Déjà cruellement négligé au cours de sa brève et chaotique carrière, le quintette de Denver a de surcroît souffert depuis sa séparation de la comparaison systématique et injustement négative avec les deux disques solo de John Grant, alors que dans le même temps, ce dernier se livrait à un travail de sape et de dénigrement de ses œuvres collectives de jeunesse, sans doute associées à des souvenirs personnels encore trop douloureux.

“Il n’y a jamais eu de consensus artistique au sein de The Czars. J’ai toujours eu des sentiments mitigés à propos de nos albums. Je trouve qu’ils manquent de cohérence, qu’ils partent dans tous les sens”, constatait-il ainsi, toujours impitoyable, en mars 2013 dans nos colonnes (cf. magic n°170). Mais si l’on ne peut que se réjouir de la reconnaissance ô combien méritée et tardivement conquise par l’auteur de Queen Of Denmark (2010) et Pale Green Ghosts (2013), ce Best Of confirme qu’il demeure un juge d’une sévérité excessive lorsqu’il s’agit de réévaluer les étapes initiales et plus confidentielles de son parcours, sur lesquelles il ne se repenche d’ailleurs que rarement pour en réinterpréter sur scène une poignée de fleurons triés sur le volet.

Un parcours amorcé il y a tout juste vingt ans, lorsque Grant, de retour d’un long exil européen, rentre à Denver et y croise la route du bassiste Chris Pearson et du batteur Jeff Linsenmaier. Après avoir abandonné le patronyme tragiquement prophétique de Titanic, les trois hommes rejoints par deux guitaristes, Andy Monley et Roger Green, forment The Czars et commencent à tâtonner sur les scènes locales en quête d’une identité musicale encore mal définie. Ils enregistrent puis réenregistrent une poignée de démos qui constituent la matière aujourd’hui disparue de leurs deux premiers LP. Absents de cette compilation posthume, ces premiers pas discographiques permettent cependant au groupe de disposer d’une carte de visite suffisante pour que Simon Raymonde et Robin Guthrie des Cocteau Twins lui proposent de signer sur leur tout nouveau label, Bella Union.JTNDaWZyYW1lJTIwd2lkdGglM0QlMjIxMDAlMjUlMjIlMjBoZWlnaHQlM0QlMjIxNjYlMjIlMjBzY3JvbGxpbmclM0QlMjJubyUyMiUyMGZyYW1lYm9yZGVyJTNEJTIybm8lMjIlMjBzcmMlM0QlMjJodHRwcyUzQSUyRiUyRncuc291bmRjbG91ZC5jb20lMkZwbGF5ZXIlMkYlM0Z1cmwlM0RodHRwcyUyNTNBJTJGJTJGYXBpLnNvdW5kY2xvdWQuY29tJTJGdHJhY2tzJTJGMTcwOTI5NzE0JTI2YW1wJTNCY29sb3IlM0RmZjU1MDAlMjZhbXAlM0JhdXRvX3BsYXklM0RmYWxzZSUyNmFtcCUzQmhpZGVfcmVsYXRlZCUzRGZhbHNlJTI2YW1wJTNCc2hvd19jb21tZW50cyUzRHRydWUlMjZhbXAlM0JzaG93X3VzZXIlM0R0cnVlJTI2YW1wJTNCc2hvd19yZXBvc3RzJTNEZmFsc2UlMjZzaG93X2FydHdvcmslM0RmYWxzZSUyMiUzRSUzQyUyRmlmcmFtZSUzRQ==Publiés quasiment coup sur coup, Before… But Longer (2000) et The Ugly People Vs The Beautiful People (2001) imposent d’emblée, quoi que puisse en penser rétrospectivement Grant, un son clairement reconnaissable et un sens unique de l’interprétation à fleur de peau. En quelques ballades vénéneuses et autant de complaintes déchirantes, où les références à la pop côtoient quelques incursions du côté de la country, du jazz ou des cabarets de la vieille Europe, The Czars va directement à l’essentiel. Seul ou parfois en duo avec des partenaires féminines triées sur le volet – Paula Frazer (Tarnation) ou plus tard Sara Lov (Devics) –, le géant tourmenté expose au grand jour sa détresse et ses états d’âme ambivalents avec un sens de la nuance poétique sans doute moins accompli qu’aujourd’hui, mais dont les maladresses sont largement compensées par la sincérité la plus brute. “If this is what you want/Then get used to destruction/If this is what you need/Then get used to depression”, se lamente-t-il ainsi sur Get Used To It, bien des années avant son coming out libérateur.

Dans une indifférence quasi totale, The Czars signe au passage quelques-unes des plus belles chansons de ce début de siècle dont la monumentale Drug, confession amoureuse d’une pureté bouleversante et addictive, que les écoutes que l’on peut désormais compter par centaines n’ont pas fini d’épuiser. Malheureusement, les relations déjà tendues entre Grant et ses collègues se dégradent très vite alors que le chanteur entame une longue descente dans les enfers de l’addiction. Malgré le soutien indéfectible de son label, le groupe se voit obligé de recourir à une souscription publique – une gageure bien des années avant le développement des plates-formes de crowdfunding – pour financer l’enregistrement de son chant du cygne, le bien nommé Goodbye (2004). En dépit de la déliquescence ambiante, il s’agit une fois de plus d’un chef-d’œuvre.

Mélodies tire-larmes, arrangements majestueux et vocalises célestes : aucun élément ne manque à l’appel. Paint The Moon, composée en Bretagne dans la résidence de Robin Guthrie, et Little Pink House marquent même l’avènement d’un songwriter de tout premier plan, capable de distiller, à l’instar de Morrissey, au fil de ses réflexions mélancoliques des touches bienvenues d’humour distancié. Un bouquet final qui demeure presque sans lendemain : quelques semaines après la fin des sessions en studio, Grant signifie son congé à Pearson et aux autres membres du groupe avant d’effectuer pour la forme une tournée d’adieux en compagnie d’intérimaires recrutés pour l’occasion.

Histoire de prolonger un peu l’aventure (et de rentabiliser une dernière fois un investissement conséquent et à fonds largement perdus), Bella Union sortira Sorry I Made You Cry (2005), une collection de reprises dont ne subsiste ici que la très belle Song To The Siren, comme un ultime clin d’œil adressé aux parrains Cocteau Twins et à leur chanteuse. La suite est belle, et sans doute mieux connue. L’errance pour Grant, puis la rédemption, d’abord avec Midlake puis en Islande. Mais les aventures récentes et édifiantes de celui qui compte désormais parmi ses fans Elton John et Sinead O’Connor ne sauraient éclipser les lueurs toujours étincelantes de ces premiers épisodes dont cette synthèse servira on l’espère de prélude à une digne réhabilitation.

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