Si on préfère le roman Haute Fidélité (1995) à son adaptation filmée par Stephen Frears en 2000, on n’a pas oublié cette scène dans laquelle le disquaire Rob diffuse le titre Dry The Rain et provoque une petite épiphanie chez ses clients avant d’écouler cinq exemplaires de l’EP inaugural de The Beta Band en moins d’une heure. Pour beaucoup, la formation écossaise se résume encore à ce tube improbable, à la fois carte de visite idéale et sommet que le groupe ne gravira plus jamais – s’en est-il seulement donné la peine ? “A blessing and a curse”, comme on dit outre-Manche. Certes, aucun autre morceau ne se hisse à la hauteur de ces six minutes et cinq secondes dont la magie perdure dix-sept ans après, mais on trouve encore à travers l’intégralité de ce septennat de carrière quelques chansons inusables, fausses pistes et autres chemins rebroussés que d’autres emprunteront avec bien plus de succès. Outre les trois EP anthologiques réunis une première fois en 1998 – The Three E.P.’s – puis en 2009 (cf magic n°130), le coffret The Regal Years donne l’occasion de se replonger dans trois albums inégaux pas toujours défendus par leurs auteurs. En 1999, le leader torturé Steve Mason déclare ainsi que le premier LP The Beta Band a été réalisé sous pression, sans argent, et que ses compositions ne sont pas abouties. Avec des avocats pareils, la critique n’a plus grand-chose à ajouter, sauf à le contredire – le morceau Smiling, au hasard, annonce les collages de The Avalanches et la pêche bordélique de The Go! Team. Comme si ça ne suffisait pas, suivront des intitulés douteux. Aussi drôle soit le film, pourquoi nommer son deuxième essai Hot Shots II (2001) ? Quant au LP final Heroes To Zeros (2004), on hésite entre fausse modestie, lucidité masochiste et suicide commercial – un peu des trois, sans doute. As dans l’art du sample qui tombe à pic (John Barry pour l’inquiétante chanson It’s Not Too Beautiful ou Harry Nilsson pour la face B à redécouvrir Won), dans la relecture des genres passés (Madchester pour Inner Meet Me et l’ambitieuse Out-Side, le psychédélisme “floydien” sur Monolith) et le mélange des styles (pop, psyché, folk, hip hop, électronique, on en passe), The Beta Band déploie une écriture étrange qui ne fait jamais le tri et s’autorise des plantages magnifiques (Squares, plagiat éhonté de Glory Box de Portishead).
Mais derrière cette image de slackers made in Scotland se fichant de tout, nos Écossais firent appel à des producteurs renommés (Colin Emmanuel pour Hot Shots II et Nigel Godrich pour le mixage de Heroes To Zeros). Alors, qu’est-ce qui n’a pas marché ? Eh bien, The Beta Band n’a jamais publié un seul album excellent de A à Z. Souvent se dégage un drôle d’ennui diffus… Ainsi des dix minutes en apesanteur mais longuettes de The Hard One, du final toutes guitares dehors de Human Being, ou du peu passionnant prototype de hip hop laid-back et brindezingue Dance O’er The Border – on pense à Beck. Cet ennui, ce sentiment de regarder des types s’amuser avec leur matériel en oubliant l’auditeur, fait également le charme de la formation. On lui pardonne volontiers puisque ce modus operandi réserve des moments suspendus. Citons Round The Bend, tranche de vie solitaire et dépressive contée sur une imparable ritournelle et dissertant sur les mérites comparés des différentes œuvres des Beach Boys. Ou le classicisme de Wonderful, ballade parfaite quoique (forcément) perturbée par de petits bourdonnements. Ce coffret (ainsi baptisé en hommage aux Capitol Years de Frank Sinatra ?) n’omet absolument rien – des sessions pour la BBC aux démos en passant par les live et autres remixes pas toujours nécessaires. On regrette cependant que l’aspect visuel de The Beta Band soit délaissé. On n’aurait pas craché sur un DVD live, histoire de se remémorer ces concerts où la bande apparaissait parfois vêtue de… combinaisons de cosmonautes ! Ce bémol passé, reste le plaisir de fouiller dans une discographie qui, si elle n’a pas changé la face de la pop moderne, aura sans doute donné des idées à certains. Après tout, ces synthés posés sur une botte de foin préfigurent The Sophtware Slump (2000) de Grandaddy. Plus tard, Alt-J et Django Django (où officie le batteur David MacLean, petit frère du claviériste John) reprendront quelques-unes de ces formules magiques avec le succès que l’on sait. Aucune reformation n’est à l’ordre du jour mais Steve Mason continue sa route sous divers pseudonymes dans une relative (et injuste) indifférence. Avez-vous entendu son album Monkey Minds In The Devil’s Time paru au printemps dernier ? Ne passez pas à côté, ce serait bêta.