Avec son cinquième album, Kate Stables confie son intranquilité, étouffée par les pensées négatives qui l’animent en-dedans, et celles des autres qui peuvent devenir assourdissantes. La Britannique se débat avec le doute, les regrets et l’estime de soi pour mieux briller.
Son précédent album, le premier chez Rough Trade, s’ouvrait sur Bullet Proof, une chanson sur le relèvement post-catastrophe. «Everything we broke today Needing breaking, anyway Can you prove to me That you can feel anything? Prove to me that you can feel» (Tout ce que nous avons cassé aujourd’hui se devait d’être cassé, de toute façon. Peux-tu me prouver que tu ne ressens rien ? Prouve que tu sens quelque chose), chantait-elle sur le deuxième couplet. Kate Stables saisissait l’impermanence, le changement, comme une chance, un état inspirant. L’incertitude qui en découle continue de nourrir ses nouvelles chansons. «C’est là que se situent les limites de mes compétences narratives», dit-elle, un brin fataliste. A tort. Au gré des albums, c’est à cet endroit que se situe son originalité, la beauté de son écriture transmuant le regard intérieur en réflexologie.
“On passe tous par le feu, on se débat tous avec quelque chose, et certains d’entre nous en font des chansons. Ça m’aide à rester saine d’esprit.”
Kate Stables, aka This Is The Kit
Son nouvel album Off Off On a la même dimension psychologique, chère à son écriture. La Britannique installée en France, à Paris, depuis une dizaine d’années, dissèque ses pensées et celles des autres, les formalisent tout haut, pour les chasser. «Je fais référence aux choses avec lesquelles on lutte au quotidien, qu’on essaie de maîtriser, en vain, documente-t-elle. On passe tous par le feu, on se débat tous avec quelque chose, et certains d’entre nous en font des chansons. Ça m’aide de formaliser les choses tout haut. Ça m’aide à les démêler, les comprendre et rester saine d’esprit.» Found Out, qui ouvre l’album, est un avertissement explicite qui ne laissera personne indifférent : «what do you expect when you keep it so secret you carry it round alone in your bloodstream, it eats at your bones, you’re keeping it secret, you carry it round, it burns you it blisters so speak the words» (à quoi est-ce que tu t’attends quand tu gardes les choses si secrètement, tu les sens jusque dans ton système sanguin, ça te rongent les os, tu le gardes secret, tu le trimballes partout, ça te brûle, ça te fait des cloques donc dit les mots).
Allers-retours stylistiques
«Je fais référence à toutes ces choses qui nous empoisonnent la vie, justifie-t-elle. Je suis très attirée par ce qui nous met physiquement mal à l’aise, les choses pas très jolies, les cicatrices, ce qui touche à la confiance en soi, l’estime de soi, au jugement qu’on a envers nous-même et qu’on adresse aussi aux autres, la dépression, l’anxiété, ou tout simplement notre incapacité à demander de l’aide.» «Down you came, out you came, found your way out, fought your way out», chante-t-elle sur le refrain, pour matérialiser une issue à ces représentations mentales récurrentes. L’acte d’en sortir se rapproche d’un exorcisme. Ce sont ses mots. Celui.elle. qui se prêtera à l’exercice n’est pas toujours nommé. Il est remplacé par le « they », équivalent du pronom impersonnel « on » en français, pour brouiller les pistes, ajouter au sentiment d’intranquilité qui traverse tout l’album, éluder la question du genre, en faisant montre d’inclusivité et d’universalité. «Les mots, le langage, sont une matière que je rapprocherais davantage de l’argile que du marbre, dit-elle. Ce n’est pas juste une question de linguistique, je dois d’abord ressentir physiquement les mots quand ils sortent de ma bouche, comme les sons que j’entends à l’oreille.» Cela donne le même visage expressif que son idole Aldous Harding, en moins grimacé.
“Je peux m’adresser à cinq personnes différentes dans la même chanson, mais au fond, c’est à moi que je parle.”
Kate Stables, aka This Is The Kit
Les motifs répétitifs des paroles et des mélodies, entre folk et free jazz, les chœurs qui résonnent en écho, donnent à l’ensemble un aspect délibérément inquiétant. Ce n’est pas claustrophobique, mais tortueux, comme nos méninges. Le premier single This Is What You Did en est une parfaite illustration et rappelle dans sa construction Solid Grease, extrait de son troisième album, là où les voix négatives des autres semblent omniprésentes, la détournant de sa propre voie dans une cacophonie d’injonctions contraires. Difficile de savoir à laquelle se fier parmi toutes ces voix intérieures. Kate Stables nous donne un élément de réponse : «Bob Dylan, dont je suis une grande admiratrice, donne l’impression qu’il parle à quelqu’un dans ses chansons, mais souvent c’est une double conversation, il s’adresse surtout à lui-même. Moi je peux m’adresser à cinq personnes différentes dans la même chanson, mais au fond c’est à moi que je parle le plus souvent.» «Don’t be fooled by them» (ne vous laissez par berner par elles), adresse-t-elle dans No Such Thing. L’artiste peut compter sur sa résilience (Started Again). Un exemple à suivre s’il en est.