Véritable exemple du self-made man, Toro Y Moi, alias Chaz Bear s’est imposé en quelques années en tant que producteur de haut niveau. S'il doute encore de ses capacités de musicien, son niveau de production ne cesse d’impressionner. Du lo-fi à une production plus hi-fi, ce natif de Caroline du Nord, véritable caméléon, passant sans cesse d’un genre à un autre, ne cesse jamais d’explorer et de tester. Il a sorti son nouvel album "Outer Peace" en janvier 2019.
Qui voulais-tu devenir lorsque tu étais plus jeune ?
Quand j’étais encore enfant je voulais devenir comme mon père, banquier, mais j’ai changé d’avis au lycée. C’est à ce moment que j’ai eu envie de me destiner à la carrière de musicien.
Quand as-tu découvert un amour pour la musique ?
Ça a dû se passer à l’âge de 5 ans, je dansais sur du Michael Jackson régulièrement. Un autre moment mémorable lié à la musique a eu lieu à l’âge de 10 ans. J’écoutais The Blue Album de Weezer. À la fin de la chanson Only In Dreams, j’ai eu la chair de poule. C’était la première fois que je me sentais aussi connecté émotionnellement à de la musique.
T’es-t-il déjà arrivé d’être dégoûté de la musique ?
Je n’ai jamais encore ressenti ça. Je suis conscient que ça arrive souvent mais pas à moi. Surtout parce que je sais que mes idées sont viables. Tout ce que je fais, des vêtements que je choisis au yaourt que j’achète… Tout est connecté, tout est potentiellement inspirant. Je vois des concepts partout. Je n’ai jamais eu la sensation d’avoir une panne d’inspiration.
Y a-t-il une différence entre Chazwick Bundick, Chaz Bear et Toro Y Moi ?
Il y a une grande différence. Je dirais que Toro Y Moi est un fantasme, Chaz Bear la réalité et Chazwick Bundick l’enfant.
Tu es autodidacte ?
J’ai commencé les cours de piano à l’âge de 7 ans. J’en ai fait deux ans. Après ça j’ai continué à jouer seul.
Tout à commencé dans ta chambre alors.
Ça a commencé dans ma chambre, chez mes parents. Je m’amusais avec un enregistreur 4 pistes à mes heures perdues. Je n’avais alors pas vraiment compris les rouages de l’industrie musicale. C’était juste une passion. J’avais besoin de sortir les chansons qui s’accumulaient dans ma tête. Je faisais ça pour moi sans avoir l’intention de les faire écouter à d’autres personnes. Une fois que l’idée d’avoir un public m’est venue, j’ai commencé à penser la création musicale différemment. C’est maintenant un produit de consommation, plus seulement un hobby personnel. Les idées me viennent toujours naturellement mais 80% du processus de création est pensé et travaillé pour arriver et plaire aux oreilles des auditeurs.
Peux-tu me raconter tes débuts ?
Ma mère avait une machine à karaoké qui enregistrait sur deux bandes. J’ai commencé par enregistrer des reprises avec. Au bout d’un moment, je me suis mis à enregistrer ce qu’on faisait avec mon groupe de l’époque, puis ce que faisaient d’autres groupes sur un enregistreur à 9 pistes. À ce moment-là je suis devenu passionné d’enregistrement. Je faisais ça seul chez moi. Puis je me suis mis à créer de la musique plus électronique en 2009. Je pense qu’en découvrant J. Dilla, My Bloody Valentine, Boards Of Canada et même Ariel Pink cette année-là, j’ai eu envie de faire de la musique qui sonnait comme tout ça. Ça a donné le son lo-fi et chillwave de mes débuts. Depuis, je me suis mis à travailler sur ordinateur.
Quelqu’un t’a appris à produire et enregistrer le son ?
J’expérimentais tout seul. Je n’avais aucune idée de ce que je fabriquais. Quand j’avais un doute, j’allais dans les magasins de matériel pour poser la question aux vendeurs. Je n’avais pas vraiment l’occasion de chercher sur internet ou de regarder des tutoriels. C’était beaucoup d’essais et d’erreurs. Parfois j’avais beau suivre les bonnes étapes, ça ne sonnait pas bien. Je n’ai eu de retour sur ce que je faisais qu’en 2010, quand Toro Y Moi a commencé à marcher. Lorsque des gens ont été exposés à ce que je faisais j’ai eu des conseils comme : “tu devrais mettre l’emphase sur les voix” ou encore “tu devrais mettre moins d’effets sur les voix” etc. J’ai commencé à réaliser ce qui plaisait.
Tu as laissé de côté la bedroom pop, pourquoi ?
Je vois le changement comme quelque chose d’inévitable. Ça fait partie du processus. Si tu ne changes pas, tu ne grandis pas. Je me sentais assez en confiance pour passer à l’étape d’après. Ce que j’aime le plus avec les Beatles, c’est la manière dont ils expérimentaient autour de leur son, la manière dont ils ne se répétaient jamais. Ils utilisaient une batterie, des amplis, des guitares, des microphones différents pour chaque chanson, chaque album. À l’époque ça faisait toute la différence, mais aujourd’hui tu peux faire tellement plus que ce serait bête de ne pas en profiter. Changer de genre et mélanger les styles, je trouve ça intéressant.
Tu te considères plus comme un producteur ou un musicien ?
Je ne pense pas être un bon musicien mais je sais que je suis un très bon producteur. Mes compétence de musicien ne m’étonnent jamais en revanche mes compétences de producteur me surprennent.
Quelle est la différence dans ta démarche lorsque tu produis pour d’autres ?
C’est comme une peinture. Tu fais ce que tu veux. Tu prends un son, tu ajoutes un beat… C’est un flux libre et constant. Lorsqu’il s’agit de produire pour une tierce personne, j’ai l’impression d’avoir un talent, une compétence que je mets au profit des autres. C’est un don que je veux partager. J’essaye au maximum de ne pas marcher sur les plate-bandes des autres, je ne veux pas être autoritaire quant à la manière dont une chanson doit sonner. Je veux laisser la chanson s’exprimer d’elle-même. J’ajoute ma patte là où je peux.
Ce n’était pas compliqué pour toi en tant qu’autodidacte de travailler pour d’autres personnes ?
La moitié du temps je ne sais pas ce qu’on va faire. Je sais juste que tel microphone doit être à un niveau sonore, que la batterie doit être à un autre niveau sonore, que les réverbérations sonnent bien… Pour le reste, je devine tout autant que la personne avec qui je travaille. Il faut toujours qu’on soit conscients tous les deux du fait que ça peut échouer à tout moment. Tant que l’on reste ouverts d’esprit, la musique percera. En tant que producteur j’essaye de toujours de rappeler à ceux avec qui je travaille que la musique est en eux et qu’elle s’exprimera forcément. Ça prend juste du temps.
Penses-tu que ce soit nécessaire d’avoir du bon matériel pour produire ?
J’ai l’impression que les auditeurs sont maintenant capables d’apprécier tout type de qualité sonore. Des gens qui aiment la house peuvent aussi apprécier du rock lo-fi. C’est devenu normal d’aimer différentes esthétiques induites par différentes qualités de matériel. Il n’y a plus une manière correcte de faire de la musique aujourd’hui. C’est tout à fait possible de produire une chanson avec Garageband sur un téléphone et qu’elle sonne de très bonne qualité. Il n’y a pas besoin de beaucoup d’équipement. D’ailleurs mon studio est resté assez petit, je ne veux pas m’encombrer. Je n’ai pas grand chose mais ça me va comme ça.
J’ai entendu dire que tu n’aimais plus trop utiliser ta voix. Tu comptes lâcher le micro ?
Je vais sans doute me mettre à une dance musique plus instrumentale. J’ai cette théorie selon laquelle la célébrité peut changer les gens et ce n’est généralement pas un changement positif. Ça les rend souvent égoïstes. J’essaye donc de ne pas céder à la célébrité. Je ne vis pas sans compter ou luxueusement juste parce que j’en ai les moyens. Je crois en un style de vie sain, en une bonne alimentation et en une consommation minimaliste. Quand tu as une voix et un visage associés à ta musique, ça rend les choses plus complexes quand il s’agit de te réserver une part de toi et de rester équilibré. Ajouter ta voix et ton visage à ce que tu fais a tendance à mener aux mauvais aspects de la célébrité.