Un best of ? Une rétrospective ? Une bande originale ? Tout ça à la fois. À l’occasion de la sortie de Wrong Cops (2014) du cinéaste Quentin Dupieux, son double musical Mr. Oizo en publie la bande-son sous la forme d’un florilège subjectif de dix-sept ans de “carrière” – guillemets nécessaires. Puisque l’artiste est coutumier de nonsense, débutons par la fin avec un monument de déconstruction rythmique nommé The End. Extrait de Moustache (Half A Scissor), deuxième LP (et dernier pour F Communications) paru en 2005, c’est le plus ancien titre sélectionné ici. Un choix de faire l’impasse sur les débuts, quelques singles confidentiels, le tube accidentel Flat Beat et le bien branque Analog Worms Attack (1999). Est donc représentée ici la seconde période, qui vit Mr. Oizo intégrer en 2007 les rangs de la maison Ed Banger sans rien perdre de sa folie douce. Par ailleurs, c’est au mitan des années 00 que le Parisien débute (réellement) au cinéma. Après Nonfilm (2001), vu partout sauf en salles, l’ex-clippeur s’impose définitivement avec le fabuleux et incompris Steak (2007). Depuis, impossible d’aborder son versant musical sans penser aux paumés de Steak, au pneu télékinésiste et serial killer de Rubber (2010) ou aux dialogues avec un jardinier de Wrong (2012). Qu’importe les alias, les correspondances entre les deux disciplines existent. On devine des analogies entre l’amour des plans larges et des lumières finement étudiées – héritière du cinéma des seventies – et les clins d’œil à François de Roubaix (Polocaust et Crows And Guts, cosignés avec Gaspard Augé de Justice) ou John Carpenter (Flip Bat). Le pape du titre abscons est un réalisateur filmant à l’appareil photo doublé d’un électronicien conservant un son analogique en bossant sur de “la musique d’ordinateur”. Cinéphile décomplexé et mélomane avisé (ses micro-samples sont difficilement identifiables, excepté Another One Bites The Dust sur Positif), Quentin Dupieux aligne les références pointues sans en avoir l’air – Stade 2 (2011) et plus encore le visuel de l’EP Stade 3 (2012) relevant certainement de l’hommage à Bernard Parmegiani, compositeur du générique original de l’émission sportive dominicale et surtout figure de la musique concrète disparue en fin d’année dernière.
Mais si la danse est rarement montrée dans ses films, elle occupe une bonne partie de son répertoire – le funk au rythme coupé en tranches de Jo est cousin de SebastiAn ; le binaire et musclé Stunt, composé avec Sébastien Tellier, est saboté en pleine course comme pas mal de cascades cinématographiques. Et si les films de notre disciple de Luis Buñuel regorgent de scènes longues et lentes au point de susciter le trouble, sa musique est le plus souvent pétaradante et concassée – le crissant Pee Hurts, le bruitiste Lars Von Sen et le brindezingue Camelfuck relèvent moins d’une recherche d’efficacité sur les pistes que d’un jusqu’au-boutisme qui se demande jusqu’où il est possible d’aller sans que les gens s’arrêtent de danser. À ce sujet, le volatile qui fait parfois le DJ entretient un drôle de rapport avec la foule. Si l’empathie pour ses personnages à côté de la plaque est réelle (on parle quand même d’un type qui émeut avec un pneu), mais ses morceaux dégagent une espèce de sarcasme, de foutage de gueule permanent. Par exemple, le célèbre leitmotiv “Arrêtez de vous reproduire/Vous êtes des animaux” sur Positif et Marilyn Manson qui clame “You look like shit when you dance” sur Solid avec en fond sonore une production digne de la meilleure techno de La Haye. À se demander si l’Oizo souvent comparé à Dada ne tiendrait pas plutôt des manipulateurs de foules power electronics – la rigolade en plus. Or rien n’est plus bancal que l’humour en musique, mais l’homme s’en sort grâce à une ambiguïté assumée de part et d’autre de la scène. Tous ces éléments forment les qualités et les défauts du son Mr. Oizo : frais, fantaisiste et expert dans le détournement des codes, mais vivant d’astuces qui peuvent tourner à la longue à la formule. Aujourd’hui, le nid est encore fertile. Et demain ? Ah, au fait, on précise qu’à l’heure où l’on boucle cette chronique, on n’a pas encore vu le film Wrong Cops. Mais peu importe, car contrairement à tout ce qu’on vient d’écrire, sa bande originale s’apprécie parfaitement sans les images en tête. Complètement illogique ? Tout à fait normal.