Original Folks – We’re All Set

La distance temporelle et la confidentialité compliquent sérieusement la tâche de celui qui chercherait à relier entre eux les jalons pointillistes de la discographie de Jacques Speyser, des premiers pas formateurs chez Les Molies ou Stephen’s Library jusqu’à ces nouvelles chansons anglophones de haute volée composées pour – ou plutôt avec – Original Folks, sans oublier l’étape au Grand Hotel, ce merveilleux projet en français sorti trop discrètement à l’aube des années 2000. Et pourtant, pour peu que l’on y prête l’attention méritée, il s’y esquisse une vraie constance, au travers des obsessions tenaces pour un imaginaire foisonnant nourri des mythes américains, puis au travers des mélodies dont la vitalité et les accents mélancoliques se nourrissent d’une culture musicale puisée des deux côtés de l’Atlantique. Cinq ans après Common Use (2009), déjà consacré album du mois dans ces colonnes, Original Folks double donc la mise avec un second LP tout aussi rayonnant.

L’originalité revendiquée non sans une certaine ironie dans le patronyme du quintette alsacien renvoie une fois encore davantage à la notion d’authenticité qu’à la recherche d’une impossible rupture esthétique radicale. Trop modeste pour prétendre indûment fomenter une quelconque révolution, le groupe se contente – et c’est déjà considérable – d’honorer avec une ferveur et une passion contagieuses les canons d’une écriture pop raffinée et exigeante. D’une décennie à l’autre, le principal changement est ainsi d’ordre organisationnel puisque la formation autrefois abritée au sein de l’écurie Herzfeld anime désormais sa propre structure, Rival Colonia. Sur le plan musical, Jacques Speyser et ses troupes ont heureusement privilégié une forme de continuité, même si les arrangements et notamment les parties intriquées de guitares arrondies et de claviers moelleux traduisent une ambition décuplée. Les innovations demeurent somme toute discrètes au sein d’un collectif dont les contours sont demeurés intacts et le casting inchangé. On y retrouve la même galerie de premiers rôles – le guitariste Franck Marxer dont le brillant premier EP paraîtra à la fin du mois ; Roméo Poirier à la batterie ; Mickaël Labbé (basse) et Paul-Henri Rougier (claviers), tous deux également membres actifs de BangBangCockCock – et les fidèles adjuvants ponctuellement sortis des rangs des plus beaux acteurs locaux (Lauter, Solaris Great Confusion) pour prêter main-forte aux collègues et amis.

Il n’est donc pas surprenant qu’une forme de convivialité joyeuse imprègne ces chansons à la fois savantes et inspirées, pleines d’émotions et de nuances inattendues, où la douceur du folk côtoie de très près les élans plus dynamiques de la pop. Pour la plupart, elles ont pleinement bénéficié d’un processus de maturation lente et d’élaboration progressive qui s’est étalé sur plusieurs années et auquel le groupe s’est trouvé astreint. D’emblée, Expecting You apparaît dans tout son éclat comme la plus belle des compositions signées par Midlake depuis le départ de Tim Smith. Les Strasbourgeois poussent même leur excursion audacieuse aux limites du bon goût, jusqu’à s’aventurer dans les eaux troubles de la discographie des Alessi Brothers, les frères Bogdanoff de la variété californienne. Ils n’en ressortent qu’après avoir capturé un Seabird étincelant qui fait heureusement oublier les outrages que fit autrefois subir Laurent Voulzy aux auteurs jumeaux d’Oh, Lori. Un peu plus loin, c’est le cœur battant que l’on contemple Earnest Intentions, irréprochable ballade qui n’a rien à envier dans son registre classique aux plus déchirantes mélopées que l’on pourrait extraire du répertoire de Lloyd Cole.

Les arpèges gracieux et expressifs de Cosmos Dog viennent témoigner de l’amour jamais démenti éprouvé pour leur maître par ces fans indécrottables de Felt et de son leader Lawrence (dont ils assurèrent haut la main une première partie mémorable il y a un peu moins de dix ans), tandis que la montée en tension contenue et progressive d’If You’re Not Ok possède la classe décontractée et indémodable du meilleur Wilco. Comme avec Six-Wired Bird Of Paradise sur Common Use, Original Folks nous autorise à saisir simultanément toute l’étendue de son talent en présentant deux versions, l’une chantée, l’autre presque entièrement instrumentale de Dying Of You. La première est emportée par une ligne de basse et un gimmick de clavier sautillant qui la propulsent vers une extase solaire ; la seconde permet de refermer l’album sur une tonalité alanguie et nettement plus crépusculaire. Tout aussi indispensables l’une que l’autre, elles résument parfaitement les deux visages de ces Janus pop alsaciens pour lesquels on serait presque prêt à mourir. De plaisir, comme il se doit.

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